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La loi sur la sécurité globale en France : l’article 24 et la liberté de diffusion

L’article 24 de la loi sur la sécurité globale stipule que :

« Le paragraphe 3 du chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est complété par un article 35 quinquies ainsi rédigé :

Art. 35 quinquies. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d’identification individuel lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police. » . La loi sur la sécurité globale est une proposition de loi française des députés LREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue déposée à l’Assemblée nationale le 20 octobre 2020. Elle porte sur le renforcement des pouvoirs de la police municipale, l’accès aux images des caméras-piétons, la captation d’images par les drones et la diffusion de l’image des policiers.

Elle suscite beaucoup de controverses, de débats et de manifestations sur l’étendue du territoire français. Les journalistes se sentent viser par l’article 24 dudit loi qui restreint le droit à la diffusion  d’images de policiers dans le cadre d’une opération de police. Au de la des médias, avec l’essor des réseaux sociaux, les particuliers se voient aussi leurs libertés restreintes. Les associations des droits de l’homme, l’UE, l’ONU, et la presse étrangère s’oppose à l’article 24. L’affaire Michel Zecler est un motif de plus pour réécrire l’article ; sans la vidéo de surveillance on n’en saurait rien.

Notre analyse se focalisera sur la liberté d’expression comme un droit fondamental, avant de voir la protection des agents de sécurité sans suspension du droit de diffuser.

1- La liberté d’expression : un droit fondamental

La liberté d’expression est un droit humain fondamental énoncé à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. De même que la liberté d’information et la liberté de la presse, la liberté d’expression pose la base de tous les autres droits. Les droits de l’homme s’appliquent aussi bien en ligne qu’en hors ligne. Par conséquent, les questions liées à la liberté d’expression et à la vie privée, à l’accès, et à l’éthique sur l’Internet doivent être étudiées. La France est un pays de droit de l’homme, la liberté d’expression et de diffusion est un droit fondamental. Par conséquent ce droit fondamental  doit  être utilisé mais pas dans l’intention malveillante, de nuire ou d’incitation à la haine. Le fait de filmer un policier dans le cadre d’une opération ne peut en aucun cas être considéré comme un délit dans la mesure où c’est un droit fondamental. L’intention de nuire ou malveillante ne peut prospérer dans le cas où l’agent mis en cause a été malveillant ou raciste.  Par contre le fait de poster une image accompagnée de menaces d’un membre des forces de l’ordre sur les réseaux sociaux dans le but malveillant d’atteindre son intégrité et sa sécurité  est un problème sérieux à résoudre. Le ministre de l’Intérieur, défend que cette proposition vise à empêcher que les policiers soient « jetés en pâture sur les réseaux sociaux ». L’article 24 de la loi sur la sécurité globale divise la classe politique et les citoyens français. Des manifestations sont notées sur l’étendue du territoire contre la loi de sécurité globale et pour le retrait de l’article 24. L’article suscite également une vive opposition, en particulier du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, de la commission européenne, du Défenseur des droits, des journalistes (qui protestent dans une tribune signée par de très nombreuses rédactions), des cinéastes, le Conseil national des barreaux et des associations de défense des libertés publiques. L’article est voté et adopté par l’Assemblée nationale le 20 novembre par 146 votes pour et 24 contre, avec un amendement gouvernemental de dernière minute faisant évoluer la rédaction de son paragraphe 2.

Trois rapporteurs du conseil des droits de l’homme de l’ONU estiment que cette loi porte « des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique » et place la France en contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme.

La liberté de diffusion est un droit fondamental acquis en France, ce serait un recul de l’interdire. L’incitation à la haine et à la violence est elle aussi inacceptable dans une République démocratique. Il faut essayer de protéger les membres des forces de l’ordre sans porter atteinte à cette liberté de diffusion.

2- La protection des agents de sécurité intérieure :

La loi sur la sécurité globale porte sur les outils de surveillance (caméras piétons, drones…) et la protection des forces de l’ordre (pénalisation de la diffusion malveillante de leurs images, de l’achat de mortiers d’artifice…). Elle renforce, par ailleurs, les polices municipales et encadre les sociétés de sécurité privées. L’élargissement de l’accès aux images est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée. En voulant renforcer les pouvoirs des agents de sécurité intérieure, la loi de sécurité globale porte atteinte aux droits des citoyens dans le cadre de la vie privé. L’article 21, relatif aux caméras-piétons, prévoit que « les images pourront être transmises en direct au poste de commandement, les personnels accéder directement à leurs enregistrements et les images utilisées pour « l’information du public sur les circonstances de l’intervention » ». Dans ces circonstances les images peuvent être modifiées en cas de dérives policières. L’usage des drones, dans une décision du Conseil d’État parue le 18 mai 2020 somme l’État de « cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone ». Par contre la loi de sécurité globale autorise la captation d’images par drone dans neuf (9) cas. Le renforcement des pouvoirs de la police municipale avec notamment l’attribution de pouvoirs de police judiciaire aura pour conséquence le renforcement des pouvoirs des maires de France. Par contre les moyens financiers des différents commune ne sont pas les mêmes, ce qui risque de créer une rupture d’égalité entre les citoyens et entre les communes.

L’article 24 de la loi sur la sécurité globale est interprété par Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, députés LREM à l’initiative de la proposition de loi, qui expliquent que le but n’est pas d’interdire la diffusion d’images de policiers ni d’imposer le floutage de leurs visages, mais seulement de sanctionner a posteriori la diffusion de ces images dans le contexte d’« appels à la violence contre des membres des forces de l’ordre ». A posteriori il appartiendra au juge d’apprécier si la diffusion de l’image d’un policier avait un but malveillant, ainsi que le soulignent les partisans du texte. Le problème qui se pose est que les forces de l’ordre sur le terrain seront amenées à apprécier l’intentionnalité a priori. La  Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) produit une analyse identique et estime que, combinée au nouveau schéma national du maintien de l’ordre, « cette nouvelle infraction pourrait, par la menace d’intervention et de poursuites qu’elle fait peser, dissuader les journalistes, chercheurs et citoyens d’informer le public sur l’action policière ».

La loi sur la sécurité globale, en son article 24 est un risque pour la liberté d’informer dans la mesure où l’intentionnalité est appréciée a priori par les forces de l’ordre.

Conclusion :

La loi sur la  sécurité globale est vue par ses détracteurs comme une atteinte à la liberté de la presse, à la liberté d’expression, notamment en raison de son article 24 qui pénalise la diffusion malveillante d’images des forces de l’ordre.  L’utilisation des technologies de surveillance de masse fait l’objet de vive polémique notamment par les défenseurs des droits de l’homme du fait de la vie privée des citoyens. La loi sur la sécurité globale a eu comme conséquence des manifestations  appelées « marches des libertés » rassemblant quelques milliers de personnes (dont des Gilets jaunes) dans plusieurs villes de France, à l’initiative des syndicats de journalistes et des associations de défense des droits de l’homme.

Notes :

  • Pierre Januel, « Une proposition de loi sur la sécurité privée et les polices municipales », Dalloz, 27 janvier 2020.
  • Marc Rees, « Images des policiers, surveillance par drone : la proposition de loi sur la Sécurité globale», Next INpact, 15 octobre 2020.
  • « L’article 24 de la future loi “sécurité globale” menace la liberté d’informer », alertent des sociétés de journalistes», Le Monde, 10 novembre 2020.