La montée en puissance du terrorisme est l’un des défis auquel certains pays africains font face de façon aigue depuis quelques années. Shebabs, Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), Boko Haram et Etat islamique sont quelques-unes de ces organisations qui font la une de l’actualité. La particularité du bassin du lac Tchad est que Boko Haram en a fait son sanctuaire, provoquant des perturbations, des déséquilibres des plus extrêmes et rarement vécus par le passé. Le Nigeria d’abord, le Cameroun, le Tchad et le Niger ensuite, ont chacun enregistré des pertes importantes en vies humaines et matérielles ainsi que des sévices physiques et psychologiques. Face à cet extrémisme violent et sanguinaire, un pays se distingue dans la lutte contre Boko Haram : c’est le Tchad de Idriss Deby qui combat farouchement le groupe extrémiste. L’armée tchadienne s’est adaptée contre les attaques de Boko Haram et a remporté plusieurs combats contre le groupe extrémiste. Le Tchad est entouré de foyers de conflits et des crises, dans une région caractérisée par l’expansion du terrorisme, les trafics illicites en tous genres, y compris la traite des êtres humains liée à l’immigration clandestine, la criminalité transnationale organisée, la sècheresse et l’avancée du désert. Le Tchad est membre du groupe G5 Sahel avec le Mali, le Niger, le Burkina Faso et la Mauritanie ; en même temps l’Etat tchadien s’est engagé dans le cadre de la Force multinationale mixte (FMM) avec le Nigéria et le Cameroun pour lutter contre Boko Haram.
Pour mieux cerner la stratégie mise en place par l’Etat tchadien nous allons décrypter les actes et les politiques sécuritaires adoptés par le gouvernement.
1- La résilience de l’armée tchadienne face aux groupes terroristes
Profitant des faiblesses dans les domaines de la gouvernance, de la sécurité et du développement, les groupes terroristes s’adaptent et se recomposent, aggravant les déséquilibres structurels et les fragilités des Etats. Ces évolutions se manifestent au Mali, avec l’implantation officielle de Daech en 2016 et le rapprochement des différentes mouvances qaïdistes ; elles s’observent également avec la résilience de Boko Haram et l’émergence de nouveaux groupes. Les risques de connexion avec les groupes islamistes libyens et la perméabilité de certaines communautés locales à l’influence islamiste doivent aussi faire l’objet d’une attention particulière. C’est dans ce contexte que se trouvent plusieurs pays du Sahel notamment le Tchad. Aujourd’hui L’armée du Tchad joue un rôle central dans le dispositif international de lutte contre le terrorisme au Sahel. Longtemps considéré comme un pays pauvre sans réelle influence régionale et en proie à des rébellions, le Tchad a pris une stature nouvelle sur la scène africaine au cours de la décennie écoulée. Il doit ce regain d’influence avant tout à sa capacité à déployer son armée sur les théâtres d’opérations extérieurs pour combattre les mouvements jihadistes au Sahel et au lac Tchad. Devenu un acteur militaire incontournable dans la lutte contre le terrorisme, le pouvoir tchadien a joué la carte de la diplomatie militaire et consolidé son alliance politique et son partenariat sécuritaire avec les pays occidentaux, notamment la France et les Etats-Unis. L’armée tchadienne s’est montrée résiliente face aux groupes terroristes notamment contre Boko Haram qui sévit dans le bassin du lac Tchad, et contre les groupes djihadistes dans le Sahel. Dans ce contexte, l’armée tchadienne, déjà très sollicitée par ses voisins, est aussi massivement déployée le long de toutes les frontières du pays pour faire face à ces différentes menaces de déstabilisation extérieures. Elle occupe également une place centrale dans la vie politique du Tchad.
Fin septembre 2016, des éléments de Boko Haram attaquent une position de l’armée tchadienne à Kaïga Kindjiria, dans le Lac, tuant quatre soldats. Ils récidivent le 5 mai 2017, au même endroit. Bilan : 9 morts dans les rangs de l’armée, une quarantaine de terroristes sont abattus. Fin mars 2020, alors que le Tchad vient de s’engager résolument contre un nouvel ennemi invisible nommé coronavirus , Boko Haram attaque à nouveau des positions de l’armée sur la presqu’île de Bohoma. Le bilan est très sanglant : 92 morts. Le président Deby descend en personne sur les lieux pour s’incliner sur les corps de la centaine de soldats. C’est la pire perte de ses soldats en une journée. Le chef de l’Etat décide de rester dans le Lac et promet une réplique foudroyante. Il revêt son uniforme de chef des armées et prépare la contre-offensive. Les départements de Kaya et Fouli sont placés en état d’urgence et déclarés « zones de guerre ». Le 31 mars, débute la « Colère de Bohoma » (ainsi est baptisée l’offensive contre Boko Haram). Les opérations durent une dizaine de jours. « 1.000 terroristes ont été tués, 50 pirogues motorisées détruites », selon le bilan fait par l’état-major des armées. De nombreux stocks d’armes sont également saisis. Mais les combats coûtent la vie à 52 militaires tchadiens, 196 autres sont blessés. La « Colère de Bohoma » a porté un grand coup à Boko Haram: ses deux principales bases (son QG et son quartier militaire) ont été détruits. Mais l’hydre n’est pas totalement anéantie car le Tchad est le seul à lui faire face.
2- Les politiques sécuritaires mises en place par l’Etat tchadien
Le dispositif sécuritaire commun de la force conjointe (G5 Sahel) reste défaillant, insuffisant sur une superficie de 5,2 millions de kilomètres carrés. Le concept stratégique de la force a été ainsi modifié pour permettre à son commandement de mener des opérations inter-fusion. En plus de son contingent, le Tchad a déployé, en octobre dernier, un deuxième bataillon dans le fuseau centre, à la jonction du Burkina Faso, du Mali et du Niger. L’armée tchadienne, qui comprend, selon les estimations, entre 40 000 et 65 000 soldats, jouit depuis près d’une décennie d’une bonne réputation à l’extérieur de son territoire. En 2013, l’engagement des troupes tchadiennes au Sahel central contre des mouvements jihadistes, puis à partir de fin 2014 dans les pays frontaliers du lac Tchad contre les factions de Boko Haram, a même fait du Tchad un acteur militaire incontournable dans la lutte contre le terrorisme. Ces dernières années, le Tchad a adopté des lois antiterroristes criminalisant le terrorisme et l’apologie du terrorisme, et durcissant l’arsenal policier et judiciaire contre les terroristes. Jusque-là rien d’exceptionnel, les Nations unies recommandant aux États de légiférer sur cette question. Mais dans les sociétés civiles et les oppositions, l’usage que des régimes autoritaires peuvent faire de ces nouveaux instruments juridiques ne laisse pas d’inquiéter. 44 membres présumés de Boko Haram en détention provisoire ont été retrouvés morts dans leur cellule à N’Djamena, au Tchad. Ils faisaient partie d’un groupe de 54 combattants présumés arrêtés en mars 2020 à la suite de l’opération Colère de Bohoma menée par les forces armées tchadiennes. Le 28 avril 2020, l’Assemblée nationale du Tchad a adopté une nouvelle loi antiterroriste qui abolit la peine de mort. Le pays a accepté d’appliquer la recommandation d’abolir la peine de mort en 2018, suite à l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Cette mesure s’applique notamment aux crimes relevant d’activités terroristes. Il existe des circonstances exceptionnelles dans lesquelles certains droits sont temporairement restreints. Cependant, le droit à la vie est absolu. L’État ne peut procéder à des exécutions extrajudiciaires ou sommaires de ses citoyens, et ce, même lorsqu’ils sont impliqués dans des activités terroristes. Face au terrorisme, l’adoption d’une réponse judiciaire pénale fondée sur l’État de droit permet de renforcer la légitimité de l’État en garantissant une reddition des comptes des personnes engagées dans la lutte contre le terrorisme. Dans le cadre de l’arsenal des mesures de lutte contre le terrorisme, les mesures judiciaires pénales, telles que l’arrestation et le procès équitable, retirent aux terroristes leur prétendu insigne d’honneur et délégitiment leur statut de combattants dans une guerre juste.
Conclusion :
La capitale tchadienne abrite à la fois l’état-major de la Force multinationale mixte (FMM) contre la secte islamiste et le commandement de la force Barkhane, l’opération française dans le Sahel. Près de 3 000 soldats tchadiens participent à la FMM. Un contingent tchadien de 500 soldats a été envoyé en 2020 pour assurer la sécurité dans la zone dite des « trois frontières » entre le Burkina, le Niger et le Mali. Depuis 2016, Idriss Deby récolte les fruits de sa diplomatie militaire et politique très offensive. A commencer par la présidence de l’Union africaine (UA) qu’il a assumée avec succès. L’élection de l’ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères tchadien, Moussa Faki, le 30 janvier 2017 à la présidence de la commission de l’UA, a été un coup de maître. L’éclat de la diplomatie tchadienne sur le plan militaire et politique a été renforcé par la ratification de la quasi-totalité des traités et accords de l’Union Africaine (UA), la redynamisation de la CEN-SAD, ainsi que l’organisation de plusieurs rencontres sous- régionales. Face à tous ces victoires, Idriss Deby âgé de 68 ans a été investi le 06 février dernier par son parti comme candidat pour un sixième mandat à l’élection présidentielle du 11 avril 2021.
Notes :
- Kaag, « Aide, Oumma et politique. Les ONG islamiques transnationales au Tchad », in R. Otayek et B. F. Soares (dir.), Islam, État et société en Afrique, Paris, Karthala/CEAN, 2009, p. 145.
- « Comprendre Boko Haram », Afrique contemporaine, n° 255, 2015
- Higazi, « Les origines et la transformation de l’insurrection de Boko Haram dans le Nord du Nigeria », Politique africaine, n° 130, 2013, p. 137-164.
- Pour une analyse tchadienne, voir M. Saleh Yacoub, « Boko Haram : religion et politique au Nigeria et dans le bassin tchadien », Revue scientifique du Tchad, n° 2, janvier 2015, p. 91-105.
- Ladiba, L’émergence des organisations islamiques au Tchad. Enjeux, acteurs et territoires, Paris, L’Harmattan, 2012.
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