IPSA AFRIQUE

Comprendre la réforme institutionnelle de la CEEAC au regard de l’agenda 2063

SI-BELL Steeve Romaric, Doctorant et spécialiste en intégration régionale

 

Depuis sa création en 1981, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) peine à atteindre la totalité de ses objectifs en dépit des efforts consentis par ses Etats membres. De toutes les Communautés Economiques Régionales (CER) reconnues par l’Union Africaine (UA), elle rencontre encore un grand nombre de difficultés dans la mise en œuvre de son schéma d’intégration. À la suite de la léthargie enregistrée par cette dernière de 1992 à 1998, le « Programme de relance et de redynamisation » avait été adopté par les Chefs d’Etat et de Gouvernement en 1999 à Malabo (Guinée Equatoriale) pour doter la Communauté de moyens capables de promouvoir la paix, l’intégration physique, et le développement économique et monétaire[5].Cependant, les difficultés persistent et ressortent principalement sur les plans socioéconomique, politique et sécuritaire.

Après avoir fait ce constat et soucieux de dynamiser la CEEAC, ses missions ont connu une évolution contrastée, liée notamment aux grandes mutations du contexte géopolitique, économique et stratégique, tant au niveau régional, continental que mondial. Dans ce sens, le dernier Secrétaire Général de la CEEAC, S.E Ahmad ALLAM-MI, a suggéré aux Chefs d’Etat et de Gouvernement de mener une réforme institutionnelle profonde de la CEEAC. C’est au terme de la XVIe Session Ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC, tenue en mai 2015 à N’Djamena (Tchad), que la résolution de réformer cette institution a été prise. L’engagement des Chefs d’État vis-à-vis de cette réforme institutionnelle profonde vise à faire de celle-ci une Organisation moderne, dotée des capacités organiques et institutionnelles lui permettant de relever les défis de l’heure en matière d’intégration politique, économique et sociale en Afrique Centrale pour le grand bien des États membres et des peuples. Cet objectif est en parfaite accord avec la nouvelle vision de développement de l’Afrique (l’Agenda 2063 : l’Afrique que nous voulons).

Cette tâche a été confiée au Président en exercice de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC et Président de la République du Gabon, S.E Ali MBONGO ONDIMBA. Il est assisté par le Comité de Pilotage de la Réforme Institutionnelle de la CEEAC (COPIL-RI), dont le président en exercice était S.E. Alain-Claude BILIE-BY-NZE, alors Ministre des Affaires Etrangères de la République Gabonaise.

Sous le regard du néo-institutionnalisme discursif, cette étude a deux objectifs. Premièrement, il sera question de faciliter la compréhension de la réforme institutionnelle de la CEEAC et ses enjeux tout en tenant compte des interactions développées avec les aspirations de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. Deuxièmement, elle permettra de dévoiler les nouveaux espoirs que renferme ce projet communautaire vis-à-vis du processus d’intégration africaine. Ceci voudrait dire que cette étude commande de faire la distinction entre le discours politique, les efforts consentis pour la mise en œuvre de la réforme et les effets escomptés. Allant dans cette veine, il serait judicieux de revenir sur le contexte africain qui engendre la réforme institutionnelle de la CEEAC (I). Suite à cela, il sera question de dévoiler son contenu, notamment les promesses qu’il contient, ainsi que les défis auxquels ce projet fait face (II).

I- LES MOTIVATIONS FAVORABLES A LA REFORME INSTITUTIONNELLE DE LA CEEAC

L’ensemble des Etats membre de la zone CEEAC font face à une kyrielle de difficultés qui viennent retarder la réalisation de leurs objectifs, pris individuellement et collectivement. Ces difficultés sont à la fois internes et externes à l’Afrique Centrale et constituent la somme des motivations qui ont favorisé les Hautes Autorités de cette région à se prononcer en faveur de la réforme institutionnelle de la CEEAC. Faisant intervenir l’entre deux régional (le continent africain et la région Afrique Centrale), ces motivations sont principalement les challenges dont ils font l’objet depuis des décennies (1). En dépit de ceux-ci, s’ajoute la nécessité d’arrimer la CEEAC à la nouvelle philosophie de développement de l’instance faitière continentale (2).

1- L’Afrique Centrale et ses défis constants

Le continent africain fait face à des difficultés qui obèrent considérablement son processus de développement. La région Afrique Centrale n’est pas exemptée de celles-ci. Elle se distingue principalement par des défis d’ordre sociopolitiques et des défis d’ordre économiques.

Les troubles sociopolitiques peuvent prendre la forme de coups d’Etats, des conflits entre partis politiques ou entre personnalités et fidèles, des conflits entre les autorités traditionnelles et les autorités officielles, etc. Dans ce sillage, nombre de pays de la CEEAC se distinguent. En 2015, un regain de tensions a été enregistré entre le Burundi et le Rwanda suite à la violation de l’espace territorial burundais (dans la province de Ngozi, au nord du pays) par l’armée rwandaise qui aurait orchestré des violences dans le pays. Le Cameroun connait depuis décembre 2016 des turbulences sociales qui ont engendrés des troubles sécuritaires dans ses régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Ces troubles ont occasionné des milliers de déplacés internes, la suspension partielle de l’éducation dans ces localités et une guerre fratricide entre l’armée nationale et les rebelles sécessionnistes. Des tentatives de putsch ont été enregistré en Guinée Equatoriale et au Gabon, respectivement en 2018 et en 2019. La RDC a également enregistré des troubles sociopolitiques au terme des élections présidentielles de 2019. Mais à la suite de la coalition entre le nouveau Président (S.E Félix-Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO) et le Président sortant (M. Laurent Désiré KABILA), ces troubles se sont peu à peu dissipés. La RCA qui connait de nombreux conflits depuis juillet 1996 n’a de cesse d’enregistrer de nouveaux troubles sociaux. Le dernier cas en date est une tentative de putsch au lendemain des élections présidentielles de décembre 2020 qui aurait été occasionné par un ancien Président, M. François BOZIZE. Ces situations inquiètent et préoccupent au plus haut point les décideurs régionaux. En dépit de ceux-là, de nouvelles formes d’atteinte à la sécurité perturbent les Etats membres de la CEEAC : le terrorisme et la piraterie maritime.

Selon Jean BÉVALET, le terrorisme est « le fait de groupes clandestins qui cherchent, par la terreur, à produire sur la population un état de trouble susceptible de favoriser la réalisation de leurs buts ». Le terrorisme revêt souvent une dimension transnationale avec des groupes opérant dans plusieurs pays ou composés de recrues de diverses origines. En Afrique, des zones géographiques telles que la région du fleuve Mano, la Corne de l’Afrique, le Sahel et l’Afrique Australe sont particulièrement en proie aux exactions du terrorisme[2] et luttent farouchement contre ce fléau. La région Afrique Centrale n’est pas épargnée. Elle fait face aux exactions terroristes du groupe salafiste Boko Haram, dont les origines remontent au Nigéria en 2002. Dans sa guerre asymétrique amorcée au Nigéria en 2009, ce groupe a multiplié les attentats-suicides et déporté progressivement son champ d’action vers les pays d’Afrique Centrale. Ainsi, dès le début de l’année 2015, le Cameroun, le Niger et le Tchad connaissent des attentats dû au terrorisme. Pour faire ombrage à cette menace, une force

régionale regroupant les soldats camerounais, nigérians, nigériens et tchadiens a été mise sur pied : la Force Mixte Multinationale. Les résultats de cette dernière sont significatifs.

S’agissant des actes de piraterie maritime, l’Afrique paie un lourd tribut. Au premier semestre de 2016, les actes de piraterie maritime dans les eaux africaines ont représenté plus du tiers des attaques des pirates répertoriées dans le monde, selon le Bureau Maritime International (BMI), En effet, trente-quatre (34) sur les quatre-vingt-dix-huit (98) cas recensé dans le rapport biannuel de cette organisation ont eu lieu au large des côtes africaines, notamment tout le long du golfe de Guinée.Toujours selon le BMI, près de huit (08) enlèvements d’équipage sur dix (10) ont eu lieu dans la zone pétrolière du golfe de Guinée en 2019. Le cas le plus récent est l’enlèvement des marins dans un pétrolier grec au large des côtes camerounaises en 2020.

Les défis économiques auxquels sont confrontés les Etats qui forment cette région sont principalement la résultante du poids des politiques internationales et de l’aide au développement.

Dans un monde encadré par les dogmes qu’impose la mondialisation actuelle (notamment la concurrence économique sous l’égide du libéralisme et du multi libéralisme), de nouvelles règles sont imposées à tous les Etats. Tel que conçues, celles-ci ont pour but d’aider ces derniers à atteindre le développement ou de consolider le niveau de développement déjà acquis. Cependant, dans les faits, nous sommes très loin de la pensée initiale. Les altermondialistes n’ont de cesse de combattre cette forme de la mondialisation qui, selon eux, bénéficie uniquement à une catégorie de la population mondiale. Ils contestent la mondialisation et dénoncent ses conséquences sociales, culturelles et économiques, surtout sur les pays les plus pauvres car les retombées de la mondialisation ne sont pas les mêmes selon les pays. En effet, cette mondialisation pourrait obéir à la loi de Pareto et serait logiquement à l’origine des inégalités entre les pays, notamment ceux du tiers-monde et les pays en voie de développement. Allant dans cette logique, il est difficile pour les pays africains et singulièrement ceux de l’Afrique Centrale d’atteindre les objectifs de développement. Le poids des politiques internationales (encadrée ici par les institutions de Bretton Woods, notamment la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International) qui pèse sur ces pays serait plutôt propice à préserver l’écart qui existe entre les pays du Nord et le pays du Sud qu’à contribuer au développement des pays du Sud.L’affirmation de Samuel HUNTINGTON s’agissant du FMI semble être atemporelle : « Through the IMF and other international economic institutions, the West promote its economic interests and imposes on other nations the economic policies it thinks appropriate ».

Nonobstant le poids des politiques internationales, les pays du Nord usent également de l’aide au développement sous forme de crédits à long ou à court terme pour « soutenir et accompagner » le développement des pays du Sud. Cet instrument est encadré sur le plan juridique par les articles 56 et 57 de la Charte des Nations Unies qui stipulent que les Etats riches ont des droits et des obligations sur les Etats pauvres. Par le biais de leurs institutions destinées à la coopération pour le développement, les pays du Nord sont disposés à accorder des facilités et un appui considérable aux pays du Sud pour aider ceux-ci à se développer. Cependant, cette aide n’est pas tout à fait gratuite et pour certains cas elle ne favorise pas l’atteinte de l’objectif escompté.

2- La convergence de la CEEAC aux exigences de l’Union Africaine

Suite à sa création, l’Union Africaine (UA) a mené une série d’activités en faveur du développement continental dont ses actions reposent principalement sur les Communautés Economiques Régionales (CER). Face aux mutations géopolitiques, aux besoins d’accentuer la progression du développement continental et d’être compétitif sur le marché international, l’UA a élaboré une nouvelle vision afin d’atteindre le développement de l’Afrique. Ainsi, il est demandé aux CER de s’arrimer à cette nouvelle vision.

Ayant constaté l’échec successif des précédentes visions de développement de l’Afrique (notamment le Plan d’Action de Lagos de 1980 et le NEPAD de 2000), l’UA a pris le temps de relever les erreurs du passé et d’élaborer une nouvelle vision de développement qui épouse les souhaits des populations africaines : l’Agenda 2063. Proposé aux Chefs d’Etat et de Gouvernement en mai 2013 lors du Sommet Jubilé d’or de l’UA et approuvé en septembre 2015, l’Agenda 2063 est à la fois une vision et un plan d’action. C’est le cadre continental prospectif basé sur la vision de l’UA qui veut « une Afrique intégrée, prospère et en paix, conduite par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène mondiale » pour les cinquante (50) prochaines années. Cet Agenda est un plan, un guide, un appel à l’action à tous les segments de la société africaine pour la transformation structurelle du continent par le biais d’un processus axé sur les populations africaines.  Selon le triptyque économie-social-environnement, ce document repose son action sur sept (07) aspirations  qui donnent une ligne directive à ses différents projets. Au rang de ses particularités, ce document tire les leçons du passé et propose des projets phares qui tiennent compte des réalités régionales. En outre, il présente une parfaite cohérence avec le Programme 2030 des Nations Unies (les Objectifs du Développement Durable) en termes d’objectifs à atteindre et d’impacts sur la population. Il se fixe comme objectif d’atteindre le développement échelonné de l’Afrique selon la pluralité des secteurs, passant par des plans à court terme (10 ans), à moyen terme (10-25 ans) et à long terme (25-50 ans). Le choix de cette stratégie a pour but de rester maître de son destin, de favoriser une adaptation constante face aux brusques accélérations internationales ainsi qu’aux profondes mutations économiques et sociales d’un continent qui connait une croissance démographique sans précédent.

S’il est vrai que la volonté de réformer la CEEAC émane d’une décision interne, il n’en demeure pas moins que celle-ci doit être conforme à la vision de l’UA. En effet, il serait illusoire en Afrique de parvenir au développement et de le consolider sans tenir compte de la vision africaine. Sachant qu’elle rassemble les désirs des populations, qu’elle propose des solutions pour atteindre ces désirs selon les secteurs d’activité et, surtout, qu’elle tient compte des particularités et des réalités propres à chaque région africaine, cela lui donne une place de choix pour les programmes régionaux de développement.

Allant dans cette veine, les décideurs de la CEEAC ont convenu de tenir compte de la vision panafricaine pour élaborer le projet de réforme institutionnelle de cette Organisation. Ceci pourrait justifier le fait que l’objectif principal de cette réforme (faire de la CEEAC une Organisation moderne, adaptée et dotée de capacités organiques et institutionnelles lui permettant de relever les défis de l’heure en matière d’intégration politique, économique et sociale en Afrique Centrale pour le grand bien des Etats membres et des Peuples. En d’autres termes, l’objectif de la réforme institutionnelle est globalement d’améliorer l’efficacité et l’efficience de la Communauté pour en faire une CER viable et forte, dotée d’un Exécutif à l’architecture rénovée et adaptée aux défis de l’heure) a su parfaitement se greffé à la vision de l’UA (une Afrique intégrée, prospère et en paix, conduite par ses propres citoyens et représentant une force dynamique sur la scène mondiale).

En accord avec l’objectif à atteindre grâce à cette réforme, nous relevons que certaines aspirations de l’Agenda 2063 ont été prise en compte. Il s’agit de :

  • Aspiration 2 : Un continent intégré, politiquement uni et fondé sur les idéaux du Panafricanisme et la Vision de la Renaissance africaine.
  • Aspiration 3 : Une Afrique où règnent la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des droits de l’homme, la justice et l’État de droit.
  • Aspiration 4 : Une Afrique en paix et en sécurité.
  • Aspiration 6 : Une Afrique dont le développement est conduit par les peuples, puisant dans le potentiel de ses peuples, en particulier de ses femmes et de ses jeunes et se préoccupant du bien-être de ses enfants.

Selon ces aspirations, des projets de texte ont été élaborés et donnent une idée de la nouvelle architecture qu’aura la CEEAC au terme de sa réforme institutionnelle. Ces textes sont :

  • Le projet de Traité révisé instituant la CEEAC ;
  • Le projet de Cadre organique révisé de la CEEAC ;
  • Le projet de Statut du personnel révisé de la CEEAC ;
  • Le projet de texte révisant le Règlement financier de la CEEAC ; et
  • Le projet de Protocole révisé relatif au Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX).

II- LES PROMESSES ET LES DIFFICULTES LIEES A LA MISE EN ŒUVRE DE LA REFORME INSTITUTIONNELLE DE LA CEEAC

En date du 18 décembre 2019, durant la IXe Session Extraordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC consacrée à la réforme institutionnelle, les instruments juridiques relatifs à la réforme institutionnelle de la CEEAC ont été adopté par les Etats membres. Cette approbation marque le début effectif de ce vaste projet communautaire. Riche en ambitions et en promesses au regard de leur contenu (1), ces instruments juridiques pourraient redonner espoirs aux populations locales quant à l’amélioration de leur niveau de vie. Mais dans les faits, l’opérationnalisation de cette réforme institutionnelle se heurte à quelques difficultés qui pourraient retarder l’aboutissement de celle-ci (2).

1- Les promesses que renferment les instruments juridiques de la réforme institutionnelle de la CEEAC

De façon basique, une promesse est un engagement pris afin de parvenir à de meilleurs lendemains. Conformément à notre contexte, les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC ont pris, en décembre 2019, l’engagement d’impulser l’améliorer des conditions de vie des peuples de l’Afrique Centrale via la réforme institutionnelle de la CEEAC. Au regard de la hauteur des ambitions que renferment les instruments juridiques, les innovations sont principalement observées sur les plans politique, économique et sécuritaire. Celles-ci pourraient être bénéfiques pour la résolution des défis enregistrés dans la région. L’ensemble des innovations dont bénéficiera la CEEAC grâce à ce processus sont contenues dans le nouvel ordonnancement juridique de cette Organisation. Il sera donc question de présenter celui-ci et de ressortir son contenu.

  • Le projet de Traité révisé instituant la CEEAC : texte majeur de cette réforme, les innovations concernent :
  • L’architecture institutionnelle de la Communauté ;
  • La mutation du Secrétariat Général de la Communauté en une Commission de la Communauté ;
  • L’intégration dans le Traité des dispositions sur la coopération en matière de politique, de paix et de sécurité ; et
  • La modernisation des autres dispositions concernant la coopération dans divers domaines de l’intégration régionale.
  • Le projet de Cadre organique révisé de la CEEAC : au terme de l’examen du nouvel organigramme, le consensus a été fait sur :
  • La suspension de toutes les divisions non structurées et de leur transformation en services pour des besoins d’harmonisation et de réduction des coûts ;
  • La restructuration du Département des affaires politiques, paix et sécurité avec pour principale préoccupation la prise en compte de l’Etat-major régional ; et
  • Le réajustement de la structure des différents Départements, notamment celui des affaires économiques, de l’agriculture, de l’eau et de l’énergie.
  • Le projet de Statut du personnel révisé de la CEEAC : sachant que le personnel de la CEEAC fera sa mue, les innovations sont axées sur :
  • La cohérence entre la classification professionnelle de la nouvelle CEEAC et celle de l’UA, ce qui a débouché à la création d’autres groupes et catégories professionnelles (cinq (05) Groupes se côtoient) ;
  • L’encadrement de la durée du contrat du personnel spécial (le Groupe 3) soit plus rigoureux, singulièrement en cas de recrutement de collaborateurs externes ; et
  • L’étendue de l’assurance maladie et voyage aux Experts des Etats participants aux réunions et activités de la Communauté.
  • Le projet de texte révisant le Règlement financier de la CEEAC : parvenu à un consensus sur l’ensemble des dispositions du règlement financier révisé de la Communauté, les nouveautés portent sur :
  • La clarification des définitions des termes techniques ;
  • La clarification des procédures d’examen, d’adoption et d’exécution du budget de la Communauté ;
  • La clarification du rôle des acteurs qui interviennent dans la chaîne d’exécution financière ;
  • La clarification des procédures de passation des marchés (institution d’un code régional des marchés publics de la CEEAC) ; et
  • L’encadrement de l’utilisation des régies d’avance et des caisses de menues dépenses.
  • Le projet de Protocole révisé relatif au Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX) : les Experts des Etats membres en charge des questions de paix et de sécurité ont examiné le projet de texte révisé du COPAX et l’organigramme du Département en charge de la paix et la sécurité. Ils ont pris en compte les amendements formulés au terme des travaux de la troisième réunion du CTE et ont présenté leurs conclusions en plénière.

Tel que préciser plus haut, l’Afrique Centrale fait face à de nombreuses contraintes relevant de divers domaines qui affectent grandement l’épanouissement et le bien-être de cette région et de ses populations. Au regard de la mutation qui est en cours, nous relevons que la CEEAC s’est dotée d’un arsenal juridique, technique et institutionnel visant à avoir un engagement ferme afin de réguler les différentes contraintes enregistrées. La première innovation de ce projet communautaire est sur le plan institutionnel. En effet, grâce au Cadre organique révisé de la CEEAC, cette Organisation opère une mutation afin de se conformer à l’architecture de l’UA. Ainsi, conformément à l’article 11 du Traité révisé instituant la CEEAC, la nouvelle CEEAC disposera de six (06) organes et de cinq (05) institutions. Afin de répondre à la hauteur des enjeux contemporains, la CEEAC s’est dotée d’un nouveau siège à la faveur d’un don du Président de la République Gabonaise. Toujours au plan politique, ce projet communautaire ambitionne d’aplanir les querelles politiques et de renforcer la cohésion entre les Etats de la région via la nouvelle formule de distribution des postes administratifs. Celle-ci fait suite à la mutation du Secrétariat Général de la CEEAC en Commission de la CEEAC. Cette mutation prévoit un exécutif composé de sept (07) Commissaires, dont un Président, un Vice-président et cinq (05) Commissaires qui seront Chefs des Départements au sein de la Commission de la CEEAC. S’agissant du personnel de la Commission de la CEEAC, il est prévu une répartition équitable entre les Etats membres et ces derniers bénéficieront de nouveaux droits grâce au Statut révisé du personnel. Ce document porte sur la mise en cohérence de la classification professionnelle et des emplois avec le Statut et le règlement du personnel de l’UA.

Sur le plan économique, le nouvel exécutif communautaire a pris l’engagement « d’élever l’Afrique Centrale au niveau de la richesse des populations et des ressources naturelles qu’elle possède, et à donner à cette sous-région un sentiment de compétitivité qui la présente comme une destination attrayante à la fois pour ses habitants, ainsi que pour ceux qui veulent s’engager dans les affaires ou s’y établir ». Il s’agira donc, entre autres, de redynamiser l’intégration régionale et de densifier les échanges intracommunautaires. Dans l’étendue de la zone CEEAC, l’intégration régionale évolue très lentement, parfois en dents de scie. Pour tenter d’y remédier, le Traité révisé instituant la CEEAC dispose de nouveaux atouts pour favoriser la coopération dans divers domaines de l’intégration régionale (articles 58 et 59). S’agissant du commerce intracommunautaire, il s’évalue à 3%. Cela pourrait s’expliquer par le facteur préférentiel de certains pays et la double absence d’une zone de libre-échange et d’une union douanière propres à la CEEAC. Ces manquements constituent une entorse à l’exploitation des ressources dont dispose la région et surtout pour la conquête des gains au sein de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf). Le Traité révisé instituant la CEEAC envisage d’instaurer une union douanière harmonisée en Afrique Centrale (article 37) dans le but de rehausser le niveau des échanges commerciaux. Les échanges commerciaux ne sauraient prendre une croissance exponentielle avec un climat sécuritaire délétère qui contribue à faire fructifier l’économie de guerre et appauvrir les pays en conflits de leurs principales ressources (économiques, naturelles et humaines). Face à ce constat, la réforme du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX) a été faite grâce au Protocole révisé relatif au Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale. Ses nouveaux atouts lui permettront d’être proactif par l’analyse et la prévention des conflits. Cela suppose un renforcement de la coopération entre les Etats membres, notamment dans le domaine de la police et de la justice, à travers la mise en place du Mécanisme régional de coopération policière et judiciaire d’Afrique Centrale.

2- Les difficultés de la mise en œuvre de la réforme institutionnelle de la CEEAC

La réforme institutionnelle de la CEEAC se veut un processus graduel qui permettra à celle-ci de répondre aux enjeux du temps dans la région Afrique Centrale. Bien que ce processus soit en cours, quelques difficultés s’invitent et contribuent à la lenteur de la mise en œuvre de ce projet communautaire. Celles-ci sont principalement d’ordre socio-économique et politique. Cependant face à ces entraves, quelques recommandations pourraient favoriser une meilleure implémentation de ce processus.

La mise en œuvre de tout projet exige de respecter des étapes précis (la consultation, la négociation, la signature, la ratification et la domestication), ainsi que l’implication de divers acteurs. Selon Patrick HASSENTEUFEL, quatre (04) groupes d’acteurs doivent être interpellés pour la mise en œuvre d’un projet d’envergure communautaire : les acteurs institutionnels, en position de décider (les hauts fonctionnaires et l’administration) ; les acteurs politiques qui gravitent autour du pouvoir (les leaders politiques et les partis politiques) ; les acteurs « intermédiaires » des politiques publiques (les experts et les professionnels) ; et les acteurs de la société civile (les citoyens, les groupes d’intérêts, les associations et les mouvements sociaux)[1]. Bien que les trois (03) premiers groupes d’acteurs sont en première ligne dans ce processus, certaines entraves se sont glissées durant le cheminement et ralentissent leurs actions.

Sur le plan social, les acteurs ont dû faire face à l’irruption inattendue de la crise à the Corona Virus Disease 2019 (COVID-19) et ses effets. Son impact a favorisé la limitation des rapports sociaux. Cette limitation a contribué à la réduction des rencontres physiques permettant d’évaluer l’avancement de la mise en œuvre de la réforme, et a engendré l’annulation des rencontres au Sommet, y compris celles prévues de longues dates. En outre, elle n’a pas été favorable pour la sensibilisation et la vulgarisation de ce projet communautaire auprès des populations. Ce qui laisse à dépourvue l’implication des acteurs de la société civile dont les actions auraient permis de réveiller auprès de ces derniers le sentiment d’appartenir à la même Communauté et de contribuer à son développement.

Au plan économique, la crise sanitaire a lourdement affecté le tissu économique mondial et celui de l’espace CEEAC au passage. Les principales conséquences sont la rareté des exportations et importations des ressources vers l’Asie et l’Europe, la baisse drastique de prix du pétrole sur le marché international (principal produit d’exportation de la Communauté). Les mesures de confinement ont étouffé la productivité et la créativité que proposent l’économie formelle et informelle de la région, réduisant ainsi la capacité de résilience des usines locales déjà fragiles. Face à ce désastre, les pays ont été contraint de revenir sur leurs prévisions en ajustant les lois de finance 2020 (cas du Cameroun et du Gabon) afin d’espérer rebondir en 2021. En rapport avec la réforme institutionnelle, ce climat économique délétère a anéanti les chances, déjà affaiblie, de collecter les fonds statutaires dédiés au financement de la CEEAC (la Contribution Communautaire d’Intégration qui s’élève à 0,4% des revenus issus des importations), lesquels auraient permis de supporter certains coups de la réforme. Résolument tournés vers la sauvegarde des acquis et la relance économique, les pays de la CEEAC, pour la plupart, se sont résolus à s’acquitter de leurs arriérés.

S’agissant du plan politique, le climat se caractérise par des querelles de leadership car selon BRZEZIŃSKI, la région Afrique Centrale est une zone de pouvoir vacant. Etant plus ou moins équivalents du point de vue de la puissance économico-militaire, nous assistons à des compétitions entre Etat pour accéder au trône de leader régional et bénéficier des avantages matériels et symboliques qui y sont associés. A l’exception du Cameroun qui semble en retrait, le Gabon et l’Angola se disputent le leadership de cette région. Chacun, par la défense de son intérêt national veut s’octroyer une place de choix et le respect des autres Etats. Ces querelles de leadership engendrent bien souvent une coexistence difficile entre ceux-ci et pourraient entacher le discours diplomatique selon lequel les Etats sont « frères et amis ». En effet, le Cameroun et la Guinée Equatoriale ; la RDC et le Rwanda ainsi que le Burundi et le Rwanda se livrent quelques tensions diplomatiques et parfois militaires. Ce mauvais climat politique pourrait laisser peu de chances de réussite à cette réforme car certains Etats mettent en avant l’intérêt national au détriment de l’intérêt communautaire.

Sachant que ce processus est toujours en cours et s’achèvera par la mise en place complète des institutions évoquées par le Traité révisé instituant la CEEAC, nous sommes en droit d’émettre quelques propositions qui pourraient contribuer à la réussite de celui-ci. Parce que cette réforme institutionnelle a pour vocation de purifier la région de ses vieux démons, nous émettons des suggestions à l’endroit des Etats membres et à l’exécutif de la Commission de la CEEAC. Pour les Etats membres, la première recommandation est d’ordre économique. L’opérationnalisation de la réforme institutionnelle de la CEEAC exige un coût financier énorme (511,07 millions de Francs CFA). Afin de rassembler ce montant, les Etats membres doivent, dans un premier temps, s’acquitter de toutes leurs redevances financières en guise de CCI et, dans un second temps, respecter le mécanisme de collecte de la CCI nouvellement instauré par le texte révisant le Règlement financier de la CEEAC. Cet effort économique permettra de réduire progressivement la dépendance vis-à-vis des partenaires extérieurs et de financer les projets de ladite réforme. Du point de vue politique, il serait judicieux de trouver le parfait équilibre entre ce projet communautaire et la rationalisation des CER en Afrique Centrale, dont l’exécution de chacun a lieu au même moment. Le parfait équilibre renvoie au volet « prioritaire » de ceux-ci. Selon ce volet, le succès de la réforme institutionnelle de la CEEAC est moins urgent contrairement à celui de la rationalisation des CER de la région. Ainsi, dans le souci de limiter les conflits d’intérêts, les querelles de leadership au sein de la région et de préserver les ressources humaines et économiques au profit des enjeux (contemporains et du futur), il serait plus qu’opportun de prioriser la rationalisation des CER.

S’agissant du nouvel exécutif de la Commission de la CEEAC, notre première recommandation d’ordre sociale. Il est impératif pour cet exécutif communautaire de créer les conditions nécessaires pour promouvoir une Afrique Centrale des peuples et non des Etats. En effet, contrairement à la CEMAC, la CEEAC est moins connue de l’imagerie populaire et celle-ci peine à identifier ses actions sur le terrain. Face à ce contraste, il est donc important de rapprocher l’organisation communautaire auprès des peuples (créer des représentations auprès des Etats membres) et d’associer les organisations de la société civile, les intellectuels et le secteur privé à la construction de cet édifice (créer une institution formelle permettant d’associer les peuples au processus décisionnel communautaire). Dans le court terme, cela contribuera à la mise en œuvre complète de ladite réforme grâce à la promotion de l’intégration par le bas, tel qu’il est fait à l’EAC. Dans le court et le long terme, cela permettra de recueillir les idées dès la base qui permettront de concevoir des projets qui fédèrent les peuples et d’harmoniser les actions respectives afin d’atteindre les objectifs communs : le développement de la région et la réponse coordonnée face aux enjeux. Au plan sécuritaire, la CEEAC se doit d’être beaucoup plus présente, proactive afin de prévenir les conflits et de les réguler. Promouvoir un climat de paix dans la région permettra d’orienter les ressources financières et humaines vers l’implémentation totale de la réforme. La prévention de certains conflits débute par des missions d’observation électorales, notamment pour les élections présidentielles. Bien souvent, les graines d’un conflit trouvent leur essence dans les campagnes électorales et il suffit d’une étincelle pour déclencher un incendie. Au-delà de la formation du personnel à l’observation des élections, il est important d’établir, au sein des représentations auprès des pays, des unités d’analyse et de veille stratégique qui devront, entre autres, mettre un accent particulier sur l’analyse du discours et des intérêts (déclinés et masqués) des candidats aux élections ainsi que leur entourage.

 

CONCLUSION:

L’Afrique Centrale est une région fortement stratégique pour le continent, dont la contribution pour son développement est importante. Au regard de sa situation géographique (la seule CER qui partage ses frontières avec toutes les autres CER reconnues par l’UA), de ses ressources naturelles et de son potentiel énergétique, il est indéniable de reconnaitre que la CEEAC a une grande responsabilité pour le succès de l’intégration africaine. Mais en dépit de cette responsabilité, nombreux sont les difficultés qui accablent cette région, venant ainsi ralentir sa progression et sa contribution à la croissance continentale. C’est dire que la région baigne dans un inconfort depuis des décennies en raison des conjonctures diverses. Fort de ce contexte, la réforme institutionnelle de la CEEAC trouve son sens afin d’adopter de nouvelles stratégies vis-à-vis des enjeux contemporains et en prévision à ceux du futur. Ce projet, qui suit son court, est hautement important pour la région car elle lui permettra de favoriser l’harmonisation de ses institutions à celles de l’UA et de combler le gap entre les régions grâce à un appui à l’implémentation de la nouvelle vision de développement de l’UA. Cependant, des contraintes viennent ralentir son implémentation. Au-delà des aspects économiques et sécuritaires, le processus de rationalisation des CER semble être l’une des principales entraves à la mise en œuvre de ladite réforme. Celui-ci laisse planer le spectre des conflits d’intérêts entre les Communautés (CEEAC et CEMAC), d’une part, et les Etats membres, d’autre part. En outre, cela laisse entrevoir le scénario de la dilapidation des ressources humaines et économiques au profit d’une querelle inutile. Cependant, il est possible d’appliquer des mesures palliatives qui permettront d’atteindre l’idéal communautaire où les peuples seront impliqués au processus d’intégration régional.

Notes et références :

  • Organisation Internationale à compétence régionale et à caractère politique et économique, la CEEAC regroupe onze (11) Etats membres. Il est question de : la République d’Angola, la République du Burundi, la République du Cameroun, la République Centrafricaine (RCA), la République du Congo, la République Démocratique de Sao Tomé & Principe, la République Démocratique du Congo (RDC), la République du Gabon, la République de Guinée Équatoriale, la République du Rwanda et la République du Tchad.
  • Les missions et les objectifs de la CEEAC sont déclinés à l’article 4 (1) du Traité de Libreville, 1983
  • Issaka K. SOUARE, « Regard critique sur l’intégration africaine. Comment relever le défi ? » in Institute for Security Studies Paper, N° 140, 2007.
  • Communiqué final de la XVIe Session Ordinaire de la CEEAC, N’Djamena 2015, p. 8.
  • Jean BÉVALET, Terrorisme : Gagner la 3e guerre mondiale, Paris, L’esprit du livre, 2009, p. 13.
  • Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs & Architecture Africaine de Gouvernance, Rapport sur la gouvernance en Afrique. Promouvoir les valeurs communes de l’Union Africaine, 2019, 38.
  • Thomas GUENOLE, La mondialisation malheureuse (inégalités, pillage et oligarchie), Paris, 2016.
  • Jörg Guido HÜLSMANN, « Pourquoi le FMI nuit-il aux africains ? », in Labyrinthe, N° 16, 2003
  • Journal Intégration du 2 septembre 2019, Réforme institutionnelle de la CEEAC : Les textes sont en gestation
  • MBANDOMANE OYONO Paul Sénile, « L’intégration régionale en Afrique centrale face aux enjeux de la réforme institutionnelle CEEAC », in Revue camerounaise d’études internationales, Vol. 13, N° 1, Yaoundé, juin 2019, p. 79.
  • Patrick HASSENTEUFEL, Sociologie politique : l’action publique, 2e Edition, Paris, Armand Colin, 2011
  • Zbigniew BRZEZIŃSKI, Le grand échiquier : l’Amérique et le reste du monde, Paris, Bayard, 1997, p. 165.
  • Sylvain NDONG ATOK, « Les conflits maritimes interétatiques en Afrique centrale : quel impact sur la coopération sous-régionale ? » in Revue camerounaise d’études internationales, Vol. 13, N° 1, Yaoundé, juin 2019, p. 87.