Article écrit par : Amivi Aboueno Viviane ABASSA, Analyste et Rédactrice chez IPSA
Les Etats de l’Afrique francophone n’ont pas cessé durant les dernières décennies de se faire entendre sur la scène mondiale, en ce qui concerne le renversement des pouvoirs politiques par l’armée, renversement communément appelés coup d’état militaire ou putsch. Entre le Togo, le Gabon, la république démocratique du Congo, la Cote D’ivoire ; le Niger, le Mali, la Guinée Bissau, le Burkina Faso, ce mouvement est devenu un véritable jeu du : « à qui le tour » ? Si la notion date des années 399 avant J-C, c’est un réel mouvement politique qui a pris une forte ascendance après les indépendances surtout sur le continent africain, du fait que de plus en plus ; les gouvernés s’insurgent contre la gestion des politiques en place qui ont tendance à pratiquer pour la plupart des Etats, non pas la démocratie qui est la gouvernance du peuple par le peuple, mais une démocratie sur mesure qui n’enlève rien aux troubles et à la misère que connait ce continent. Et si le putsch parait de plus en plus de nos jours comme la réponse à une mauvaise gouvernance et un moyen sans équivoque de renverser « des faux gardiens de la constitution », il n’en demeure pas moins qu’il représente également une menace pour la démocratie et les nouvelles avancées dont peut jouir les Etats membres du G5 Sahel dont fait partie le Burkina Faso.
Le Burkina Faso, « Terre des hommes intègres » qui ne se fait plus compter dans la liste des Etats qui au travers de leur histoire ont connu de nombreux coup d’états, en a encore fait les frais le 24 janvier 2022, renversant ainsi l’ex président Roch Marc Christian Kaboré et son gouvernement.
A cette ère décisive de l’humanité où l’heure est au renforcement des alliances en vue de maintenir la paix et faciliter le développement dans les secteurs clés, on se demande quels sont les fléaux à même de mettre en péril ces objectifs au Burkina Faso et au sein du G5 Sahel ?
L’histoire a prouvé que la prise du pouvoir par les militaires n’a jamais rien arrangé au problème de la démocratie au Burkina-Faso.
Au contraire il s’agit toujours de remplacer momentanément « le château de paille par un château de sable » ; au final le résultat reste le même dans la mesure où ce dernier ne dispose pas non plus de base solide pour perdurer dans le temps, d’où l’objectif de mettre la lumière sur les enjeux d’un coup d’état militaire sur la démocratie au Burkina Faso et l’impact de cet instabilité politique sur le G5 Sahel.
1- Enjeux socio-politiques et économiques du putsch sur la démocratie au Burkina-Faso
Pour ne remonter qu’aux années d’après indépendances, L’Afrique n’a jamais constitué un ensemble unifié ; mais au fil du temps l’idée de s’unir pour être plus fort est devenue un projet stimulant. La montée en puissance de groupes terroristes au Mali et au Tchad après la chute de Khadafi a poussé les certains Etats du Sahel à s’organiser. C’est en effet de là qu’est né pour les pays du Sahel à savoir la Mauritanie, le Mali, le Tchad, le Niger et le Burkina-Faso, l’idée de créer un cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques, de développement et de sécurité.
En d’autres termes, son objectif s’accentue sur l’établissement d’une liaison entre développement économique et sécurité. Le G5 Sahel met ainsi un point d’honneur à renforcer les relations entre ses Etats membres en créant un espace de renforcement économique et de lutte contre le terrorisme revendiqué par les différentes organisations djihadistes.
Le putsch du 24 janvier 2022 dans la capitale d’Ouagadougou est la conséquence directe de multiples détériorations continue du contexte sécuritaire dans cet Etat. Il répond d’une part à la méfiance qui s’est installée entre le gouvernement et l’armée surtout depuis le dernier attentat qui a renversé le gouvernement de l’ex Président Blaise Compaoré.
D’autre part, il s’agit d’un « ras le bol » des populations civiles mais surtout des forces de défense qui continuellement se sentent lésées par le gouvernement dans les allocations de budget national, qui peinent à maintenir les militaires dans de bonnes conditions de travail. Ce manque de tact aura ainsi occasionné la lourde attaque qu’a essuyé ces derniers le 14 Novembre 2021 dans la province du Soum (dans le nord du pays), par les djihadistes d’Ansarul Islam, faisant 57 morts dont 53 militaires et 4 civiles : c’est le point de départ du Putsch.
Concrètement, la population reproche au gouvernement et aux militaires leur incapacité de les protéger contre les attaques des djihadistes, tandis que pour les militaires c’est le coup de trop car étant privés d’approvisionnement en nourriture depuis plusieurs semaines.
La conséquence directe de ce renversement fut la mise aux arrêts du Président Roch Marc Christian Kaboré, la dissolution du gouvernement , la fermeture des frontières, la suspension de la Constitution qui sera rétablit plus tard, l’instauration d’un couvre-feu qui sera également levé les jours suivants, la modification des institutions, les troubles sociales et l’insécurité sur toute l’étendue du territoire, de même que l’ingérence de la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui ne s’est pas fait attendre pour prononcer une sanction à minima le 28 Janvier 2022 en suspendant le Burkina-Faso de ladite Communauté.
Par ailleurs, il s’est tenu le Jeudi 03 Février 2022 à Accra un nouveau sommet, rassemblant les dirigeants de la CEDEAO qui ont décidé de ne pas imposer de nouvelles sanctions, après avoir entendu le compte rendu des émissaires internationaux qui avait rencontré le nouvel homme fort du Burkina Faso, chef de la junte, le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba et après avoir tenu des discussions franches avec ce dernier, qui les a rassuré en disant comprendre « les doutes suscités par le coup d’état ». Il a rassuré que le Burkina « continuera à respecter les engagements internationaux notamment en ce qui concerne le respect des droits de l’homme » en précisant que l’indépendance de la justice serait aussi « assurée ».
2- Les enjeux sécuritaires du putsch de Ouagadougou au sein du G5 Sahel
Resté longtemps en marge des opérations de paix, l’espace francophone s’est réveillé brutalement par des agressions internes de la part des groupes armés djihadistes qui essaient de mettre en cause l’intégrité territoriale et la forme laïque des pays du Sahel.
Deux groupes terroristes déstabilisent la zone : le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) dirigé par le touarègue malien Iyad Ag Ghaly, et l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS) dirigé par Adnane Abou Walid al-Sahraoui (du Sahara occidental).
De là, et pour lutter contre ces groupes terroristes, cinq pays du Sahel dont le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont créé, le 16 février 2014 à Nouakchott, le G5 Sahel. C’est une organisation intergouvernementale qui est composée de 5000 hommes issus de ces cinq pays, appuyés par les forces françaises de l’opération Barkhane, et dont deux missions essentielles lui ont été assignées : celle de la sécurité et le développement.
L’initiative a reçu le soutien de la France et de la Communauté internationale à travers l’Alliance pour le Sahel, la Coalition pour le Sahel, l’Union Européenne (UE), l’Union Africaine (UA), la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Organisation des Nations Unies (ONU) à travers la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA). Mais elle peine toujours à atteindre sa pleine capacité opérationnelle, encore moins à produire des résultats satisfaisants. Pire, les djihadistes ont étendu leur zone d’influence et remporté des victoires décisives contre les armées nationales et leurs partenaires de l’opération Barkhane et de la MINUSMA.
Ainsi, l’année 2019 fut la plus meurtrière en vies humaines (civils et militaires). Par contre, depuis le début de l’année 2020, et plus précisément après le Sommet de Pau le 13 janvier 2020, le rapport de force s’est renversé sur le terrain, grâce à une montée en puissance des forces nationales et une bonne coordination entre elles et Barkhane.
Cependant, le manque des ressources (financières et humaines) suffisantes et des matériels adéquats, une méfiance mutuelle entre États, des priorités divergentes entre les différents acteurs sur le terrain et l’instabilité sociopolitique de certains pays clés, nuisent à la pérennisation et à la consolidation des avancées majeures enregistrées ces derniers temps. C’est bien ce qui a mis la poudre aux canons, le 24 janvier dernier dans la capitale de Ouagadougou au Burkina Faso.
Cette situation qui prévaut au Burkina Faso vient s’ajouter au schéma déjà désastreux que présente actuellement le G5 Sahel qui n’a pas hésité à émettre un communiqué au lendemain des événements demandant à l’ensemble des parties de « privilégier le dialogue pour résoudre toutes les contradictions dans le calme et la sérénité ». En effet, avant le Burkina Faso, le Mali et le Niger, ont également vécu respectivement au travers de putsch et tentative de putsch déjouée, de terribles situations d’instabilité politique sur leur territoire respectif. Ce dernier en date vient ainsi fragiliser encore plus les relations entre les Etats membres et leurs objectifs dans le cadre du G5 Sahel d’une part, et les relations entre ces Etats et les autres institutions et communautés dont principalement la CEDEAO qui affirme son désaccord au travers de nombreuses sanctions.
Pour les principaux groupes djihadistes d’autre part, cette situation peut être considérer comme étant une véritable aubaine. Si en 2020 le rapport de force semblait être renversé en faveur du G5 Sahel, cette situation au Burkina Faso pourrait changer à nouveau la donne. En effet, pour les terroristes, il n’y a pas meilleure occasion que les situations de crises pour lancer encore plus d’attaques et prendre d’assaut des territoires, plongeant ainsi les pays du Sahel dans une insécurité chronique, ce qui de facto aura des impacts sur le reste du continent.
De plus, la situation qui prévaut au Burkina Faso fait craindre un effet domino au Niger qui est confronté aux mêmes défis économiques, sociaux et sécuritaires que ses deux voisins sahéliens, ce qui serait un nouveau coup porté à la pérennité du G5 Sahel.
CONCLUSION
La menace djihadiste est réelle. En Afrique comme un peu partout dans le monde c’est un mouvement qui sans cesse grandit et se renforce.
Au Burkina Faso, comme au sein de la plupart des Etats membres du G5 Sahel, la démocratie est de façon régulière en « état de choc ». Selon le Directeur du Centre de Suivi et d’Analyse Citoyen des Politiques Publiques au Burkina Faso, Siaka COULIBALY, « la trajectoire de l’ancien Président Roch Marc Christian Kaboré s’apparentait un peu à un suicide politique du fait de l’insécurité notoire existant depuis 2016, mais encore parce que ce dernier n’a pas su établir après son élection, son action politique sur le parti qui l’avait conduit au pouvoir, ce qui à contribuer à fragiliser sa propre base politique… ». Il va sans dire que pour éviter de pareils évènements à l’avenir au Burkina Faso, plusieurs actions politiques doivent être revues ou prises en compte celle notamment qui touchent les militaires et leurs conditions d’exercice. Il s’agira donc à l’avenir de :
- FAIRE TABLE RASE DES BLESSURES DU PASSE TOUT EN PRENANT EN COMPTE LES ERREURS A NE PLUS REPETER ;
- METTRE A NIVEAU ET REEXAMINER LES RELATIONS AVEC LA DEMOCRATIE DANS LA GESTION DES INSTITUTIONS ;
- RENFORCER LE SYSTEME SECURITAIRE AU SEIN MEME DE L’ARMEE ;
- AMELIORER LES CONDITIONS DE VIE ET DE TRAVAIL DES MILITAIRES ET RENFORCER LEUR SUIVI PSYCHOLOGIQUE ;
- BUDGETISER D’AVANTAGE LES BESOINS D’ORDRE SECURITAIRE POUR LA PREVENTION DES ATTAQUES DIHADJISTES ;
- TROUVER D’AUTRES ALTERNATIVES AU PUTSCH ;
- PROMOUVOIR L’ENTRAIDE ENTRE TOUS LES ETATS PARTIE DU G5 SAHEL ;
- INVITER ET ETTENDRE LES VALEURES ET LES OBJECTIFS DU G5 SAHEL A D’AUTRES ETATS D’AFRIQUE POUR RENFORCER LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME.
Aux vues de tout ce qui prévaut, tous les regards sont tournés vers la CEDEAO et le chef de la junte le Lieutenant-Colonel Paul Henri Damiba afin que la crise soit maitrisée et l’ordre revienne dans le plus bref délai. Il parait plus qu’évident que la démocratie en Afrique doit sérieusement être repensée.
Notes et Références :
- Une guerre perdue : la France au Sahel; PEROUSE DE MONTCLOS, Marc-Antoine, – PARIS : JC LATTÈS, 2020/01, 320 P.
- Sur l’insurrection populaire et ses suites au Burkina Faso ; Lila CHOULI – L’HARMATTAN – 2018 – 234 P.
- Au Burkina Faso, deux conceptions de la révolution : les espoirs déçus de l’après-Compaoré ; Rémi CARAYOL – LE MONDE DIPLOMATIQUE, N°766 (janvier 2018). – P. 6-7
- Human Rights Watch (HRW), « « Le jour, nous avons peur de l’armée, et la nuit des djihadistes », Abus commis par des islamistes armés et par des membres des forces de sécurité au Burkina Faso », 21/05/2018.
- anguy QUIDELLEUR, « Les racines locales de la violence dans l’Est du Burkina Faso – La concurrence pour les ressources, l’Etat et les armes », Noria Research, 28/01/2020.
- Sources internet
https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/28/coup-d-etat-au-burkina-faso-le-pays-suspendu-de-la-cedeao_6111444_3210.html
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/01/26/mali-guinee-burkina-faso-l-afrique-de-l-ouest-dans-la-spirale-des-coups-d-etat-militaires_6110995_3212.html
https://www.monde-diplomatique.fr/1966/04/BALANDIER/27170
https://www.g5sahel.org/wp-content/uploads/2022/01/Communique_Burkina-Faso-1-1.pdf
https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/28/coup-d-etat-au-burkina-faso-le-pays-suspendu-de-la-cedeao_6111444_3210.html http://rifrancophonies.com/index.php?id=1310
https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-cedeao-decide-de-ne-pas-imposer-de-nouvelles-sanctions-au-burkina-faso-
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