IPSA AFRIQUE

Les conflits entre agriculteurs et éleveurs au Mali et au Burkina Faso: Cas d’aggravation du contexte sécuritaire dans le G5 Sahel

 

Article: écrit par Mady Sissoko, Rédacteur chez IPSA Initiative pour la Paix et la Sécurité en Afrique

 

Vers 1390 – 1810, des Etats théocratiques dominés par les leaders peuls non islamisés  ont investi et imposé leur domination sur une grande partie du centre du Mali. Cette domination s’étende progressivement vers la partie nord à travers l’arrivée vers 1818 – 1893 de Sékou Amadou, qui après une série de guerre sainte arrive à soumettre l’ensemble de la zone inondée (sous influence de l’empire peul du Macina) à l’Islam. La zone inondée est un espace large et très fertile en herbes pour les animaux.  Après la conquête définitive de la zone inondée, notamment Mopti, une partie de Ségou et Tombouctou; Hamdallaye est choisie comme capitale où siège le conseil avec en son sein un palais de justice. En effet, une gestion théocratique a été imposée d’une part et d’autre part les gestions coutumières non contraire à la religion ont été renforcées mais sous le regard vigilent des commandants des zones.

Cependant, dans chaque secteur, un chef a été choisi pour organiser et coordonner la gestion et l’exploitation de la terre. Il servait d’arbitre et de premier conseiller dans la limite de ses compétences. Ainsi dans le domaine de l’agriculture, des chefs secteurs ont été installés, dans le domaine de pèche des chefs secteurs ont été installés, dans le domaine de l’élevage qui était le secteur le plus convoité, des chefs secteurs ont été aussi installés. L’ensemble de ces chefs avaient une appellation commune le « DIORO », il est le maitre des terres en fonction des ressources naturelles exploitables par chacune de ces catégorie socio- professionnelles (pistes de transhumance et pâturages pour le pastoralisme, périodes et zones dédiées à l’exploitation agricoles, le mode de gestion foncière et un système d’exploitation des ressources) en préservant la coexistence pacifique entre les communautés.  Ce mode de gestion à beaucoup été apprécié par les peuls du centre et la zone frontalière du Burkina-Faso (Seeno) jusqu’ à la fin de l’empire peul du Macina. Ce mode de vivre adoptait aux différentes valeurs sociétales qui composaient cette partie Malienne, du Burkina, et du Niger a été détruite par le colonisateur. Il faut noter que, l’arrivée du colonisateur a beaucoup favorisé les agriculteurs qui étaient sédentaires et beaucoup plus coopératifs que les peuls pasteurs et nomades. Au regard de l’administration coloniale, il est plus facile de travailler avec une communauté déjà installée, stable qu’une communauté qui se déplace avec les membres de leurs familles de manière saisonnière pour exploiter les ressources pastorales, selon un calendrier. Dans le cadre de la réalisation des activités quotidiennes de survies, des conflits ont tout le temps surgis dans nos sociétés entre les éleveurs et les agriculteurs. La grande sécheresse de 1973 et 1984 a impacté toutes les activités professionnelles en amenant les agriculteurs à faire des aménagements et les éleveurs à emprunter d’autres pistes inhabituelles pour la   survie de leurs bétails au Mali, Burkina, Niger Mauritanie et Tchad. De ce fait, des conflits d’intérêt commencent à éclater entre les différentes communautés.

Le centre d’intérêt est bien évidemment la terre et les ressources naturelles telles que l’eau et les herbes fertiles pour les animaux

Qu’il soit le Mali ou le Burkina Faso et les pays du G5 sahel, le centre d’intérêt est bien évidemment la terre et les ressources naturelles telles que l’eau et les herbes fertiles pour les animaux. Il est constaté que, la rareté de ces ressources ne permet plus aux éleveurs de suivre les pistes ou couloirs de transhumance habituelles en respectant durant toute la saison les distances règlementaires pour éviter les dommages champêtres qui sont les premières causes de conflit intercommunautaire. Au Burkina Faso, Mali, Niger et le Tchad, les causes des conflits entre éleveurs et agriculteurs sont classiques, ils résident très souvent dans la divagation des animaux dans les champs. Ce type de conflit était habituellement résolu à l’amiable dans les vestibules et sous les grands arbres à palabre par les chefs coutumiers, en présence des responsables des éleveurs et celui des agriculteurs. Au Mali, le cousinage et le brassage ethnique jouent un rôle imminent dans la gestion pacifique des conflits de ce type. Il faut noter que, depuis plus d’une décennie, à cause de l’incapacité des pouvoirs publics et les autorités coutumières traditionnelles à apporter une réponse à la hauteur des enjeux, les conflits ont pris une dimension ethnique sans précèdent dans nos Etats, cela s’ajoute, les crises politico – militaire, la mutation sociale, économique et les conjonctures liées au changement climatique dans certains pays du sahel. Cette situation a entrainé le blocage des routes habituelles de transhumance surtout entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Les communautés se retrouvent dans la posture de défendre leurs intérêts par tous les moyens, cette situation nouvelle a facilité la création des tensions intercommunautaire et entrainer la création des alliances entre groupes armés(notamment entre éleveurs et agriculteurs) qui a fini de prendre une ampleur surprenante avec l’immixtion des inconnus et à travers l’implantation des groupes armés recrutant souvent sur la base ethnique et la création des milices d’autodéfense agriculteurs. Le manque de solution des pouvoirs publics des pays (comme le Mali, le Burkina, Niger et le Tchad) a beaucoup facilité la prolifération des armes (Al- qu’Aïda, le MUJAO, Katiba de Macina, Le GSIM, EI…). Il faut noter que, les solidarités économique et sociale intercommunautaires qui primaient sur la couleur de peau, de langue, et sur l’appartenance ethnique sont mis à rude épreuve aujourd’hui entre les pasteurs (peuls) et nomades (agriculteurs) dans les pays du G5 sahel. Les statistiques rapportées par l’étude concernant l’état des lieux des conflits au Burkina Faso démontrent l’ampleur du problème. Cette situation de crise profonde affecte l’ensemble des pays du G5 sahel, elle entraine des impacts négatifs sur les communautés pastorales, notamment chez les peuls et les Touareg en raison de leur forte tradition pastorale d’une part et d’autre part réduit considérablement la production des agriculteurs sédentaires.

Rôles des pouvoirs publics des états concernés et partenaires dans la réponse de la crise :

Les pouvoirs publics et les partenaires ont d’abord concentré leurs actions sur le dialogue, le désarmement et la démobilisation des groupes, ensuite la sécurisation et le redéploiement à travers un maillage objectif des espaces libres. Aujourd’hui, à côté de l’engagement militaire des différentes armées des pays du G5 sahel et partenaires, un dialogue politique est engagé en vue de rapprocher les communautés. Cependant, pour créer une opportunité de dialogue intercommunautaire de nombreuses initiatives de prévention et de résolution des conflits ont d’ores et déjà été engagées au niveau local, aussi bien au Mali qu’au Burkina et au Niger. Ces efforts qui impliquent une très grande diversité d’acteurs (Autorités gouvernementales, collectivités locales, organisation de la société civile, chefs religieux, et coutumiers, groupes armés d’autodéfense). Au Mali, le pouvoir politique à engager plusieurs ministères y compris la primature, le ministère de la réconciliation nationale et celui de l’administration territoriale. Cela se passe à travers une action de dialogue afin de trouver une issue aux conflits intercommunautaires sur l’ensemble du territoire national. Des efforts sont consentis aussi dans le cadre de l’amélioration du système de gouvernance surtout dans le domaine de la justice, cela s’ajoute la revue des textes pour instaurer un climat d’équité et de justice entre l’ensemble des communautés même s’il existe du dualisme entre le droit coutumier et le droit positif dans les pays du G5 sahel. Il faut noter aussi que, les communautés se retrouvent mieux dans le droit coutumier que le droit positif, elles estiment que les décisions sont rendues toujours en faveur de celui qui dispose une grande capacité financière. C’est pour cette raison que les instances gouvernementales chargées de prévenir et de gérer les conflits communautaires sont très peu sollicitées par les communautés agropastorales pour gérer leurs différends.

Conclusion :

Même si le droit positif permettait à un éleveur de se retourner contre un agriculteur, ce dernier préfère en général faire appel à des leaders traditionnels pour résoudre le différend, une manière d’éviter la justice classique. Au Mali, une étude du Grisis Group international qui date du 09 novembre 2020 sur la crise dans la zone située au sud – est de la région de Mopti entre (Peuls et Dogon) révèle que seule la cour d’appel de Mopti entre 1992 à 2009 a connu un total de 736 conflits liés aux ressources naturelles. Donc la justice a un rôle déterminant dans la prévention et gestion des conflits. Force est de reconnaitre l’existence de besoin de réforme et de réadaptions du système judiciaire dans le domaine foncier est plus qu’une nécessité dans nos Etats.

 

  1. Recommandations :
  • Définir un cadre cohérent pour assurer une meilleure coordination entre les multiples initiatives locales et une grande synergie entre les éleveurs et les cultivateurs afin de contribuer à un règlement global des conflits agro éleveurs dans l’espace du G5 sahel
  • Promouvoir un dialogue politique inclusif qui prendra en compte les défis et les besoins des acteurs locaux et particulièrement les agropasteurs dans l’espace.
  • Mettre en place un bon système coordonné de monitoring des infractions des agents de l’Etats et prendre des sanctions contre les auteurs de corruption et leurs complices
  • Procéder à des nouveaux balisages des couloirs de passage des animaux en collaboration avec les acteurs de l’élevage et de l’agriculture
  • Désarmer tous les groupes armés et proposer une piste de réinsertion aux anciens combattants qui n’ont pas un esprit terroriste.

 

  1. Bibliographie :
  2. Sahel ; ce qui doit changer /Pour une nouvelle approche centrée sur les besoins des population/Recommandation de la coalition citoyenne pour le sahel
  3. Burkina Faso, Analyse des conflits liés à l’exploitation des ressources naturelles/Note de synthèse
  4. Programme de développement (PDU) projet « trois frontière » au Mali, Burkina Faso, et Niger
  5. Loi numéro 06-045 portant loi d’orientation agricole au Mali ; code rural de 1960 révisé en 2013 et la loi pastorale du Niger
  6. Témoignage des leaders traditionnel et personnes de ressource du centre du Mali, de la frontière Mali – Burkina Faso
  7. Centre du Mali ; enjeux et danger d’une crise négligée (Feu Adam Thiam) et centre pour le dialogue humanitaire de Genèse
  8. Empire peul du Macina 1818-1853 Amadou Hampaté Bah et Jacques Daget, édité par Les nouvelles éditions Africaines paru en 1984

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