IPSA AFRIQUE

POURQUOI LES AUTORITÉS NIGÉRIENNES REFUSENT LA BASE MILITAIRE AMÉRICAINE SUR LEUR SOL ?

Par Ousmane BALDE, Docteur en droit public et Chargé de recherches à l’Initiative pour la Paix et Sécurité en Afrique (IPSA)

Les relations afro-occidentales ont toujours connu des tumultes. Au début de l’Histoire, elles étaient motivées par l’exploration, le commerce et le profit économique. Par la suite l’Occident a maintenu cet intérêt économique et l’a couvert d’un manteau.  Pour défendre ses intérêts, les occidentaux ont éliminé tous les résistants africains. Après les indépendances, les pays européens accompagnés des Etats unis d’Amérique ont neutralisé toutes les voix africaines discordantes, soit par des séries d’assassinats ciblés ou des coups d’état.

Certains événements issus de la colonisation sont corroborés par la mondialisation. Celle-ci a relevé l’Afrique au rang de spectatrice où les puissances occidentales rivalisent d’ingéniosité et de voracité. Plus en plus, cette soumission a cédé la place au réveil voire même à la révolte. La France en est la première victime. Son giron connait des secousses telluriques du fait des menaces asymétriques comme le terrorisme. Certains en une courte période ont connu plusieurs coups d’état ; ces situations d’insécurité ont poussé aux populations et aux autorités issues des putschs de demander aux militaires occidentaux stationnés sur leur territoire de partir.  Le sentiment antifrançais en Afrique[1] a su gagner les autres puissances occidentales. Ce qui justifierait le départ des soldats américains basés au Niger.

Il sied de nous poser la question de savoir : pourquoi les autorités de transitions nigériennes ne veulent-elles pas des militaires américains sur leur sol ? Comment Niamey compte faire sans ces soldats dont l’apport en matière d’informations est déterminant dans la lutte contre le terrorisme ? Pour répondre à ces épineuses questions, nous allons nous appesantir à la théorie de la causalité qui montre que les mêmes causes produisent les mêmes effets. S’il y a montée du terrorisme dans les pays du sahel c’est parce qu’il y a défaillance du système établi par les occidentaux.

Pour répondre à cette question, nous allons tour à tour examiner l’arrivée des russes comme facteur catalyseur du départ des américains. Aujourd’hui, la posture américaine ne devrait pas correspondre avec celle des années 90. Donc cette posture américaine serait erronée.

 

L’ARRIVÉE DE LA RUSSIE, UN FACTEUR CATALYSEUR DU DÉPART DES AMÉRICAINS

Les autorités du Niger ont acté le départ des militaires américains de leur territoire national, plus précisément de leur base d’Agadez. La dénonciation de  l’accord qui encadrait la présence militaire des Etats-Unis dans ce pays sahélien s’est faite suite à un partenariat entre le Niger et la Russie.

Cette coopération entre Niamey et les autres capitales sahéliennes francophones comme Bamako et Ouagadougou avec Moscou est le signe de l’échec de la politique d’endiguement de l’influence croissante de la Russie. Cette stratégie visant à limiter la portée de l’action russe dans le sahel s’est avérée être une politique d’ingérence dans les affaires intérieures des pays africains et un pillage systématiques des ressources économiques des pays sahéliens. Dans la même veine, elle n’a pas pu enrailler le terrorisme et l’extrémisme violent.

Ce retrait des militaires américains n’est que la conséquence du départ forcé des soldats français au sahel, savoir du Mali, du Burkina Faso et du Niger. C’est qui fait dire aux parlementaires français qu’il y a le remplacement de «la Françafrique d’hier» «par la Russafrique militaire, par la Chinafrique économique ou l’Américafrique diplomatique»[2].  Cette Russafrique militaire marque la désoccidentalisation du sahel qui se matérialise par une forte présence russe.

Mises au ban par les Etats ouest-africains à la suite des coups d’état, les autorités maliennes, burkinabés et nigériennes fustigent la présence militaire occidentale sur leur sol et font désormais appel, selon les Européens, aux mercenaires russes de la société Wagner. Cette russianisation de l’Afrique a commencé avec la République centrafricaine[3], qui est le premier pays à établir des accords de coopération militaire avec Moscou en 2018. Cet accord se déploie autour de plusieurs enjeux à la fois économique, géostratégique et même géopolitique. S’en suit le Mali qui, au courant 2022, a établi une coopération avec la Russie sur les plans  militaire et technico-militaire. Ce partenariat permet aux instructeurs russes de former le personnel militaire malien[4]. Ce  réalignement stratégique du Mali sur la Russie après le second coup d’État en Afrique de l’Ouest en mai 2021 a pour conséquences immédiates : la sortie du Mali du G5 Sahel en mai 2022, le départ des forces Barkhane et Takuba et la fin de la MINUSMA[5].

Le Burkina Faso a également resserré son alliance avec la Russie. Plusieurs mois après la fin des opérations françaises dans le pays, la coopération militaire entre Ouagadougou et Moscou s’est accélérée et entrée dans une « phase pratique » avec le débarquement des instructeurs russe dans la capitale burkinabé. Et des armements russes ont été livrés aux autorités burkinabés.

Et tous ces faits diplomatiques à connotation militaire ont poussé le Niger à s’aligner sur la Russie au détriment des pays occidentaux comme les Etats Unis d’Amérique. A la mi-janvier, la Russie avait déjà annoncé qu’elle avait conclu un accord avec le Niger pour y « intensifier » sa coopération militaire. Une délégation russe s’était rendue à Niamey en décembre 2023 afin d’en discuter. Des accords sur le renforcement de la coopération militaire avaient alors été signés[6]. En plus de la formation du personnel militaire et de la livraison d’armements, Moscou va « installer un système de défense antiaérien » capable « d’assurer le contrôle total de l’espace aérien » du pays. Ce cadre de coopération sécuritaire est un catalyseur du départ des américains du sol nigérien.

Il faut noter également que les tensions diplomatiques et géopolitiques, exacerbées par la polarisation entre l’Occident et la Russie au sujet de la guerre en Ukraine, ont également mis à rude épreuve les partenariats régionaux des pays de l’Alliance des Etats du Sahel. Les relations avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et le G5 Sahel ont été les plus affectées, les pays du Liptako Gourma percevant ces deux instances comme étant sous influence française[7].

 

LA POSTURE ERRONÉE DE WASHINGTON, UNE RAISON DE LA FURIE DE NIAMEY

La posture de la France en Afrique aurait contribué à affaiblir la cohésion du « monde occidental » dans le Sahel. D’une « mission civilisatrice » à une « mission protectrice », nous avons abouti à une fin du « monopole occidental de la puissance » en Afrique[8]. C’est dans ce cadre-là que nous assistons à un départ massif des soldats occidentaux de l’Afrique.

La rupture avec la France consécutive au putsch du 26 juillet 2023 s’était traduite par la dénonciation des accords de défense avec Paris et par le départ du Niger, à la fin de décembre, du dernier soldat français. Les Etats-Unis, eux, se faisaient fort de ne pas subir le même sort pour leur millier de soldats, stationnés principalement à Agadez, base stratégique pour la lutte anti djihadiste comme pour endiguer l’influence croissante de la Russie. Se désolidarisant des « maladresses » de Paris, ils avaient mis deux mois et demi à qualifier de « coup d’Etat » le putsch du général Tiani et maintenu leur ambassade à Niamey, alors que le représentant français était expulsé. Cette erreur d’analyse des Etats Unis serait même à l’origine de son départ du Niger.

Officiellement, Washington assure attendre des « clarifications » de Niamey, mais ne peut que constater son erreur d’analyse quant à la trajectoire prise par une partie des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Acrobatique, la posture américaine s’est avéré un mauvais calcul. Elle n’a pas empêché la remise en cause de l’influence des pays occidentaux dans cette partie du continent africain. La suspension de l’aide américaine, une obligation juridique après un coup d’Etat, n’a pas incité le régime en place à Niamey depuis le 26 juillet à renouer avec la démocratie. Au contraire, cette exigence de Washington, même exprimée mezza voce, et sa mise en garde contre d’autres influences extérieures ont braqué les militaires. Ils ne se sont d’ailleurs pas privés de fustiger la volonté américaine de « dénier au peuple nigérien souverain », qui n’a pourtant pas exprimé le « droit de choisir ses partenaires ».

Cette tendance à la militarisation des relations américano-africaines sur fond de lutte contre le terrorisme est une vision erronée dans la coopération entre le pays de l’oncle Sam et les Etats africains.  Elle pose le problème de l’efficacité et les limites des interventions occidentales en Afrique.

Ce départ massif des troupes occidentales de l’Afrique s’expliquerait par le fait qu’il y a une dynamique globale qui est celle d’un Sud qui s’éloigne de l’Occident et dans une rhétorique souverainiste ou néo-souverainiste. Cette posture montrerait que le Sud global[9] est le point de ralliement des mécontents.

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Le dernier numéro de la  Revue internationale et stratégique (RIS) N°133 sur le thème “Afrique : un sentiment antifrançais ?

[2] Voir la tribune des parlementaires français publiée par le Figaro, https://www.lefigaro.fr/vox/monde/apres-la-francafrique-sommes-nous-condamnes-a-l-effacement-de-la-france-en-afrique-20230807

[3] Arielle Georgette Djoufan FOTSING, « le jeu d’influence de la Russie dans la reconfiguration de la coopération militaire en république centrafricaine », Nkafu Policy Institute, octobre 2022.

[4] https://fr.africanews.com/2024/02/28/mali-diop-en-russie-pour-renforcer-la-cooperation-militaire//

[5] Le 30 juin, le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) a voté à l’unanimité la fin de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) à compter du 31 décembre 2023. Ce vote fait suite à la demande du gouvernement de transition du Mali de retirer la mission « sans délai ».

[6] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/04/12/niger-arrivee-a-niamey-d-instructeurs-militaires-et-de-materiel-militaire-russes_6227295_3212.html#:~:text=A%20la%20mi%2Djanvier%2C%20la,militaire%20avaient%20alors%20%C3%A9t%C3%A9%20sign%C3%A9s.

[7] https://issafrica.org/fr/iss-today/retrait-de-la-minusma-les-organisations-regionales-prendront-elles-le-relais

[8] Pascal BONIFACE, La géopolitique 50 fiches pour comprendre l’actualité, 7e édition, Eyrolles, 2020, p.143

[9] « Le Sud global, un nouvel acteur de la géopolitique mondiale ? » in Géoconfluences, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/inegalites/articles/sud-global

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