Par Soukeyna DIOUF,
« Disposer d’un environnement propre, sain, sûr et durable est un droit humain » selon le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, décision prometteuse et essentielle dans la lutte contre les changements climatiques rendu le 8 octobre 2021. A l’ère de la course effrénée vers les ressources naturelles, tous les pays du monde sont confrontés à un problème commun : la dégradation de l’environnement à travers le changement climatique. Et pourtant, cette menace mondiale a été principalement provoquée par les pays développés dans l’accomplissement de leur croissance économique, au détriment des pays en voie de développement comme le Sénégal, qui en subissent de plein fouet les effets néfastes. C’est dans ce contexte que l’on s’intéresse au sujet suivant « Quelle politique énergétique au Sénégal face au changement climatique ? ».
Selon l’ONU, les changements climatiques désignent les variations à long terme de la température et des modèles météorologiques. Il peut s’agir de variations naturelles, dues par exemple à celles du cycle solaire ou à des éruptions volcaniques massives. Cependant, depuis les années 1800, les activités humaines constituent la cause principale des changements climatiques, essentiellement en raison de la combustion de combustibles fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz. Au niveau mondial, le secteur de l’énergie est responsable de plus des deux tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le secteur de l’énergie[1] a été le principal moteur de la croissance des émissions, responsable pour 58 % de l’augmentation des émissions dans la période 2000-2005[2]. Ainsi, l’énergie doit être au centre de tous les efforts visant à limiter le réchauffement climatique.
Dès lors, l’intérêt pratique de cette étude circonscrit dans le territoire sénégalais nous permettra de mettre en exergue les menaces de ce phénomène sur les pays en voie de développement, mais aussi de comprendre corollairement la politique interne (du Sénégal) et internationale relative à la gestion de l’énergie face au changement climatique. Si bien qu’il importe de se poser la question suivante :
Quels sont les enjeux et les stratégies de la politique énergétique sénégalaise face au changement climatique ?
À l’analyse, au vue des multiples défis et de l’adhésion du Sénégal à plusieurs politiques multilatérales, nous verrons d’abord les enjeux énergétiques du Sénégal face au changement climatique (I). Toutefois, dans une perspective de transition énergétique, accompagnée par des objectifs soutenus par l’Etat, nous montrerons ensuite que le Sénégal développe des stratégies énergétiques face au changement climatique (II).
I/ Les enjeux énergétiques du Sénégal face au changement climatique
Le Sénégal est confronté comme tous les pays du globe au désastre climatique, d’où l’existence de nombreux défis. Cependant, pour contrer ces derniers, il s’est engagé à plusieurs politiques de luttes énergétiques multilatérales.
A/ Des défis multiples
Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) présente un vaste éventail d’impacts et de risques présents et futurs du changement climatique, qui constituent une grande inquiétude pour l’humanité : détérioration globale des fonctions et structures des écosystèmes ; extinctions d’espèces (animales, végétales) ; phénomènes climatiques extrêmes (sécheresses, inondations, tornades…) ; augmentation du niveau de la mer ; survie/déplacements de populations ; impacts sur la santé, sur l’alimentation ; risques économiques… Le Conseil mondial de l’énergie a adopté un concept de « trilemme énergétique » qui consiste à chercher la réalisation d’un équilibre entre trois propositions contradictoires : la sécurité énergétique, l’équité énergétique et l’environnement.[3] Pour l’ONU, l’Afrique représente 4% des émissions mondiales. Ainsi, les pays en voie de développement comme le Sénégal cherchent parallèlement à satisfaire la demande énergétique de leurs populations, d’où un accès total, mais aussi à réguler ses effets sur le climat.
Concernant les chocs environnementaux au Sénégal, sur la période 1950-2021, la température du pays a augmenté, en moyenne, de 1,52°, passant de 28,11°C à 29,63°C. Les pluies sont de plus en plus intenses et de courtes durées. En raison de l’augmentation du niveau de la mer, l’érosion côtière entraine des pertes socio-économiques et environnementales sur le littoral où se trouvent des villes dont les activités économiques contribuent à hauteur de 68% du PIB.[4] Dans le milieu marin, les risques de pollution deviennent importants. En effet, les activités d’exploitation et le déversement clandestin de quantités inconnues d’eaux de ballast et d’huiles mortes affectent l’écosystème marin. À cela, s’ajoutent les déchets industriels et plastiques, directement déversés en mer, avec des conséquences désastreuses dans l’écosystème marin. En perspective de l’exploitation du pétrole et du gaz au Sénégal, cette pollution risque de s’accentuer, avec ses effets sur l’environnement.[5]
Au vu de ces obstacles environnementaux, voyons le cadre international de politiques énergétiques.
B/ L’engagement du Sénégal aux politiques énergétiques multilatérales
L’un des engagements phares du Sénégal (et même du monde) reste l’Accord de Paris sur le Climat signé en 2015 qui est universel, ambitieux et juridiquement contraignant, appelé COP 21. La mise en œuvre de l’Accord de Paris va infléchir durablement la politique énergétique nationale qui doit relever le défi de garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable, tout en promouvant un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques. Ensemble, ils doivent contenir la hausse des températures bien en-dessous de 2 degrés tout en poursuivant leurs efforts pour la maintenir à 1,5 degré Celsius. Pour le Sénégal, membre du Groupe Afrique, l’enjeu sera de profiter des opportunités et mécanismes de soutien à l’adaptation et à la mitigation qu’offrent la diplomatie du climat et celle de la finance climat (des opportunités en matière de financement, de transfert de technologies et de renforcement de capacités), pour se placer sur la voie d’une économie faible en carbone avec l’option résolue d’accéder aux énergies propres et d’intégrer le changement climatique dans la planification des secteurs de l’économie les plus sensibles.[6] Le Sénégal a adhéré en 2019 à l’Alliance de l’ambition climatique, une initiative du Chili, pays hôte de la COP 25. Son objectif est d’œuvrer en faveur de la neutralité carbone d’ici 2050, même si le Sénégal n’a pas encore défini clairement un objectif de zéro émission de carbone à long terme. Lors de la COP 26 tenue à Glasgow en novembre 2021, le Sénégal s’est engagé à ne plus construire de nouvelles centrales électriques au charbon et à éliminer progressivement les centrales existantes d’ici les années 2040. Son objectif d’avoir une capacité installée de 29,2 % en électricité renouvelable en 2023 est désormais atteint (30 % actuellement), mais il faut désormais aller plus loin.[7]
En outre, en septembre 2015, l’Assemblée Générale des Nations Unies avait adopté à l’unanimité à New York un « Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». Parmi les 17 objectifs de développement durable énoncés, l’ODD 7 vise à « garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable ». En deçà des ODD, le Sénégal est partie prenante des initiatives régionales en matière d’énergie durable : à l’échelle de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), il faut relever l’adoption de documents de politique énergétique tels que la Politique sur l’efficacité énergétique (PEEC), de la politique en matière d’énergies renouvelables (PERC), de la politique bioénergie ; au niveau de l’Union économique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA), il s’agit principalement de la stratégie de l’UEMOA dénommée « Initiative régionale pour l’Énergie durable » (IRED) et présentée ainsi : en 2030, l’ensemble des citoyens de l’Union accédera à une énergie à bas prix, au sein d’un vaste marché d’échange d’énergie électrique intégré et harmonisé à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest, produisant une énergie propre et s’appuyant sur un partenariat public-privé dynamique.
En somme, ces politiques internationales en matière d’énergie sont traduites dans les documents nationaux du Sénégal, qui cherche par ailleurs à les harmoniser à son cadre interne avec des stratégies particulières.
II/ Les stratégies énergétiques du Sénégal face au changement climatique
La principale stratégie de lutte contre le changement climatique reste la transition énergétique, même si elle semble mitigée au Sénégal. Néanmoins, l’Etat s’est fixé des objectifs précis en accord avec les conventions multilatérales et confirmés par le nouveau référentiel-ANT.
A/ La volonté mitigée d’une transition énergétique
La transition énergétique est au cœur de l’actualité, dans un contexte mondial marqué à la fois par le dérèglement climatique et par une grande instabilité des prix et de l’approvisionnement en énergie. Ces dernières années, le Sénégal a fait des efforts considérables dans le domaine des énergies renouvelables qui atteignent aujourd’hui 30% du mixte énergétique. Cependant, depuis la découverte de grands gisements de gaz et de pétrole sur les côtes sénégalaises, l’industrie fossile connaît un nouvel essor, ouvrant la voie à des projets d’exploration et de production. Malgré le contexte dans lequel de nombreux pays s’engagent à décarboner leurs économies afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, le Sénégal semble emprunter un chemin différent, à rebours d’une transition énergétique puisqu’il devient un important producteur de gaz et de pétrole. La découverte de gaz offshore représente un défi singulier pour le pays. Son exploitation imminente lui permettra, en effet, de rejoindre le groupe restreint des producteurs d’énergies fossiles et de renforcer sa souveraineté énergétique, en réduisant drastiquement ses importations de combustibles fossiles.
Or, il est évident que ces nouveaux projets d’énergie fossile auront de lourdes conséquences pour l’environnement, en particulier pour les communautés dont la subsistance est étroitement liée à la préservation d’écosystèmes intacts et à qui ces projets d’infrastructures feront payer le prix fort. De plus, la volatilité élevée des prix mondiaux du gaz et du pétrole expose ce type de projets d’infrastructures au risque de devenir, à terme, des actifs abandonnés fort coûteux eux aussi. Ainsi donc et malgré l’objectif récemment établi lors du « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial » à Paris les 22 et 23 juin 2023, fixant la part d’énergie renouvelable à 40% du mixte énergétique d’ici 2030, les plans de développement du secteur fossile pourraient menacer l’engagement du gouvernement dans la transition énergétique. Car, si dans les pays du Nord, la transition énergétique vise à transiter vers les technologies propres, au Sénégal comme dans de nombreux pays du Sud, l’urgence est d’accroître la production d’énergie bon marché pour réduire les inégalités d’accès, lutter contre la pauvreté et se doter d’une industrie stratégique.
Au demeurant, le Sénégal est aujourd’hui confronté à un cruel dilemme pour son développement : mener une transition énergétique volontariste et investir massivement dans les énergies renouvelables ou bien reprendre à son tour le flambeau des énergies fossiles malgré le désastre planétaire qui s’annonce ? De nombreux experts considèrent l’exploitation d’hydrocarbures comme une opportunité à saisir, à condition, cependant, qu’un cadre de gouvernance et de transparence qui prend en compte le volet environnemental soit mis en place.[8]
B/ Des objectifs appuyés par le nouveau référentiel de l’Etat (ANT)
La volonté de renforcer l’indépendance énergétique, la prise de conscience suscitée par la crise écologique, les opportunités offertes par l’action climatique mondiale, ont conduit les pouvoirs publics à opter pour une politique de mix énergétique dans le sous-secteur de l’électricité et à ériger en objectif majeur et prioritaire la promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Cette volonté est manifeste dans les différents instruments de la politique énergétique et environnementale.[9] Des lois d’orientation sur les énergies renouvelables et le biocarburant[10] de 2010[11], de la stratégie adoptée en 2014 par le Plan Sénégal Émergent (PSE), des Lettres de Politique de Développement du Secteur de l’Énergie (LPDSE) à aujourd’hui l’Agenda National de Transformation (Sénégal 2050), autrement appelé le nouveau référentiel de l’Etat, nous remarquons une certaine continuité dans ces différents documents qui ont des objectifs similaires. Dès lors, l’ANT confirme que le Sénégal s’est engagé, à travers l’Accord de Paris sur le climat en 2015 et les Conventions internationales sur la biodiversité, à intégrer les principes de développement durable dans les politiques nationales et à inverser la tendance liée à la déperdition des ressources environnementales. En vue d’accompagner et de matérialiser la mise en œuvre de ces accords et engagements, diverses stratégies nationales et sectorielles ont été élaborées, dont la Contribution déterminée au Niveau national (CDN).
À cet égard, les mécanismes d’adaptation et d’atténuation définis dans la CDN permettent de renforcer les capacités de résilience des populations confrontées aux effets néfastes du changement climatique. Au niveau national, l’objectif visé consiste en une réduction relative des émissions de gaz à effet de serre de 5% et 7% respectivement, aux horizons 2025 et 2030 (Par rapport à la situation de référence (2010)). Pour atteindre l’objectif stratégique de conduire une transition énergétique juste et équitable, le pays s’engage à renforcer son mix énergétique (à au moins 40% à l’horizon 2030), à maitriser la demande énergétique, et à assurer l’utilisation moins carbonée des ressources énergétiques.[12] De plus, selon le Plan d’Action Prioritaire (cadre opérationnel de la Stratégie de transformation Systémique du Sénégal sur les cinq prochaines années), le secteur de l’Energies-mines-hydrocarbures aura 4,8% des investissements publics, sachant que l’essentiel de l’investissement dans ce secteur est privé, avec notamment le projet de construction et de gestion d’un réseau de gazoduc (Gas to power) ; le Hub minier régional ; et le projet de construction d’une usine d’urée.
Conclusion
En définitive, la politique énergétique du Sénégal face aux changements climatiques est comparable à la plupart des pays en voie de développement. Des enjeux négatifs constatés sur l’environnement font naitre des enjeux positifs à l’échelle planétaire pour les contrer. Cela n’empêche pas les Etats à développer des stratégies nationales vu les réalités propres à chaque territoire. Le Sénégal manifeste une réelle volonté dans la lutte contre le changement climatique. Au regard de notre analyse, nous estimons que la politique énergétique du Sénégal est assez complexe au niveau de la divergence entre d’une part, l’exploitation actuelle du gaz et du pétrole et ses potentiels effets sur le climat, et d’autre part, la nécessité d’une transition énergétique. Il serait intéressant pour les gouvernants d’essayer de lever l’énigme sur cette problématique.
[1] Le secteur est particulièrement vaste et diversifié puisqu’il englobe les énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon), l’électricité, le nucléaire, les énergies renouvelables (éolien, solaire, biomasse, hydraulique…).
[2] Ministère de l’Environnement et de la Protection de la Nature, 2015.
[3] « LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE AU SÉNÉGAL : ENJEUX ET DÉFIS », Produit par Heinrich Böll Foundation, Dakar Juillet – Août 2023, https://sn.boell.org/sites/default/files/2023-08/transition-energetique_v_final_0.pdf.
[4] Ministère des Finances et du Budget, 2022 : Document de Programmation budgétaire et économique pluriannuelle (DPBEP) 2023-2025.
[5] V. l’Agenda Nationale de Transformation (ANT) sur la question, Nouveau Référentiel de l’Etat sénégalais.
[6] Voir Ibrahima Ly, « La politique énergétique du Sénégal au lendemain de la Cop 21 : enjeux et perspectives » , ESBC, Lien : https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/soleilpourtous/chapter/la-politique-energetique-du-senegal-au-lendemain-de-la-cop-21-enjeux-et-perspectives/#:~:text=la%20r%C3%A9duction%20des%20%C3%A9missions%20de,pression%20sur%20le%20bois%20%C3%A9nergie.
[7] « LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE AU SÉNÉGAL : ENJEUX ET DÉFIS », Produit par Heinrich Böll Foundation, Dakar Juillet – Août 2023, https://sn.boell.org/sites/default/files/2023-08/transition-energetique_v_final_0.pdf.
[8] « LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE AU SÉNÉGAL : ENJEUX ET DÉFIS », Produit par Heinrich Böll Foundation, Dakar Juillet – Août 2023, https://sn.boell.org/sites/default/files/2023-08/transition-energetique_v_final_0.pdf.
[9] Voir Ibrahima Ly, « La politique énergétique du Sénégal au lendemain de la Cop 21 : enjeux et perspectives » , ESBC, Lien : https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/soleilpourtous/chapter/la-politique-energetique-du-senegal-au-lendemain-de-la-cop-21-enjeux-et-perspectives/#:~:text=la%20r%C3%A9duction%20des%20%C3%A9missions%20de,pression%20sur%20le%20bois%20%C3%A9nergie.
[10] Carburant de substitution aux produits pétroliers, d’origine végétale (éthanol, ester de colza, de tournesol).
[11] La loi n° 2010-21 du 20 décembre 2010 portant loi d’orientation sur les énergies renouvelables (ENR) qui vise à promouvoir le développement des ENR sur l’ensemble du territoire et la loi n° 2010-22 du 15 décembre 2010 portant loi d’orientation de la filière des biocarburants.
[12] Pour plus de détails, voir l’ANT.
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