Par Yéro Moulaye DJIGO, Doctorat en Gouvernance et Intégration Régionale, Rédacteur chez IPSA Initiative pour la Paix et la Sécurité en Afrique.
Traditionnellement, l’histoire des relations internationales a été l’histoire des conflits[1]. Dans cette même logique, la Russie a lancé dans la nuit du 23 au 24 février 2022 une offensive militaire sur l’Ukraine. L’ONU considère que cette attaque est une violation de l’intégrité du territoire et de la souveraineté de l’Ukraine. Elle est contraire aux principes de la Charte des Nations Unies[2]. A l’heure où ces lignes sont écrites, le bilan de la guerre Russo-ukrainienne ne cesse de s’alourdir, cependant s’attacher à ce bilan n’est que factuel car changeant de même que les relations entre Etats, toujours mouvantes. Les puissances, les alliances en effet se font et se défont au rythme des intérêts. Ici aussi, « la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens ». C’est sous cette perspective que la politique, notamment celle internationale poursuit sa trajectoire au rythme des intérêts.
C’est dans ce contexte que les relations entre la Russie et la Chine sont très souvent scrutés. Sous fond de guerre cette fois-ci, la convergence entre la Chine et la Russie est interrogée, une convergence qui il faut le rappeler est le résultat de similitudes politiques des deux régimes[3] mais également d’une coopération militaire depuis une vingtaine d’années[4]. Dès lors, opérer une analyse de ce compagnonnage devient pertinent lorsqu’elle est envisagée dans la perspective de la communauté internationale qui, loin d’être un ensemble cohérent est plutôt d’après l’image dressée par Philippe Moreau DEFARGES comme, un « horizon fuyant, une tension entre rêve et réalité »[5].
En marge des jeux olympiques de pékin le président chinois Xi JINPING a échangé avec le président russe Vladimir Poutine. A cette occasion Marc Julienne, chercheur et responsable des activités Chine à l’Institut français des relations internationales (IFRI) dira que leur relation est plus méfiante qu’amicale. Quelques jours plus tard la Russie envahissait l’Ukraine.
Après le début des hostilités, le 15 septembre 2022, Vladimir POUTINE et Xi JINPING se sont rencontrés pour la première fois depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les deux hommes se sont retrouvés à Samarcande en Ouzbékistan à l’occasion du 22ème sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). En ce sens, François CHIMITS analyste pour la Mercator Institute for China Studies relèvera que, « diplomatiquement, les dignitaires chinois ont tous reçu une ligne extrêmement claire de la part du pouvoir central : l’invasion ne remet en rien en cause notre partenariat approfondi historique avec les Russes »[6].
La question de l’état des relations sino-russes s’invite dès lors ici à travers l’interrogation : A l’heure de la guerre où en sont les relations entre la Russie et la Chine ?
A l’aune de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, les relations entre la Russie et la Chine sont toujours au beau fixe allant même vers un renforcement du rapprochement entrepris depuis quelques décennies déjà. Ce qui contraste cependant avec d’autres réalités relatives aux regards profondément divergents que les deux puissances portent sur l’histoire et plus particulièrement sur leurs relations frontalières[7].
Ainsi, cela permet tout de même d’opérer une analyse bipartite notamment, à travers le renforcement des relations entre la Russie et la Chine faisant de la Chine un partenaire de la Russie même si cette relation peut difficilement encore être qualifiée d’alliance. Cette approche duale ne peut pas cependant occulter les autres implications qui se dégagent surtout par rapport au reste de la communauté internationale notamment, l’OTAN, l’Europe et les autres puissances.
- La Chine, un partenaire de la Russie
La Chine n’est pas un allié de la Russie mais plutôt un partenaire, cette précision de taille a été faite François CHIMITS.
L’amitié sino-russe est “solide comme un roc“. Si l’on en croit le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, certaines choses ne changent pas et les deux puissances restent fondamentalement alliées face à l’Occident. Dans ces lignes se trouvent en effet les justifications de cette amitié sous forme de partenariat. Mais notons que ce partenariat est tout de même un partenariat privilégié face au bloc occidental. En effet, depuis la fin de la guerre froide, les relations entre la Chine et la Russie sont marquées par une renaissance sans précédent. Cet essor ne cesse de s’accélérer tant sur le plan politique que dans les domaines économique, militaire et énergétique[8].
Les échanges commerciaux entre les deux pays ont dépassé le seuil symbolique des 100 milliards de dollars en 2018 et continuent de croître en 2019. Dans le contexte d’incertitudes engendrées par la guerre en Ukraine, la Chine s’est avérée être l’un des partenaires les plus fidèles de la Russie. Les importations chinoises depuis la Russie – largement composées de matières premières – ont bondi. En fin d’année 2022 force est de constater que, le commerce bilatéral entre la Chine et la Russie a même atteint un niveau record : 172 milliards de dollars. Il s’agit d’un bond de 32% en un an, selon les données de la douane chinoise. Toujours dans la même dynamique, la Chine a augmenté ses importations de pétrole de 60% en 2022, faisant de la Russie son deuxième fournisseur. Les minerais, les produits agricoles affluent aussi davantage, sans oublier le gaz dont les flux sont appelés à augmenter. Le tout est payé en yuans et en roubles via des systèmes financiers alternatifs pour ne pas violer les sanctions contre la Russie. Le développement des échanges bilatéraux ne fait que renforcer donc sous l’impulsion des sanctions occidentales les relations entre la Chine et la Russie.
L’énergie, notamment les hydrocarbures russes se retrouvent désormais destinés principalement à l’Asie, le pivot vers l’Asie s’accélère. La lecture qui peut être faite ici serait dans un long terme avec le développement de ces échanges entre la Russie et la Chine la mise en place d’un vrai partenariat non plus orienté vers l’occident mais plus vers l’Asie. Ceci vient au-delà renforcer les bases déjà jetées en 2001. En effet en 2001, la Russie et la Chine entrent dans un partenariat et entament un vrai dialogue stratégique : les deux pays mettent sur pied l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). L’Organisation de coopération de Shanghai a été créée en 2001 avec la Russie, la Chine et quatre anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale : le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, l’organisation s’est élargie pour inclure l’Inde et le Pakistan. En 2021, c’est au tour de l’Iran d’intégrer l’alliance…Aujourd’hui, la Chine et la Russie ont fait de l’OCS la vitrine de leur partenariat et servent d’outil d’opposition à la présence des États-Unis en Asie.
Cette organisation apparait d’un point de vue stratégique comme une base arrière. A long terme, l’analyse qui peut être faite c’est que l’OCS constitue un nouveau pôle. Dans cette logique, la guerre entre la Russie et l’Ukraine pourrait aboutir sous le levier des sanctions occidental à l’institutionnalisation du pole sino-russe ou plus exactement à la dépolarisation du monde. Lors du 22e sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai de septembre à Samarcande, en Ouzbékistan, l’organisation y est présentée comme une “alternative réelle” à l’Occident. Selon le conseiller du Kremlin Iouri OUCHAKOV, c’est la “plus grande organisation du monde, qui comprend la moitié de la planète”. Au demeurant, le président chinois Xi JINPING a appelé les dirigeants réunis à “travailler ensemble à la promotion d’un ogre international qui aille dans une direction plus juste et rationnelle”.
Les relations entre la Russie et la Chine notamment ceux économiques sont maintenues malgré la crise en cours. Toutefois, ceci était prévisible dans la mesure où le positionnement noté ici obéit à des lignes déjà tracées. Finalement, l’affrontement est ici entre la Russie contestataire d’un monde unipolaire et l’hégémonie occidentale à sa tête les Etats-Unis. Cependant, comme nous avions introduit ci-dessus, la Chine est un partenaire de la Russie mais pas encore un allié.
2. La Chine, un allié de la Russie ?
La visite du dirigeant chinois Xi JINPING est annoncée au printemps 2023 en Russie pour une visite d’État. La toile de fond, la guerre russo-ukrainienne semble encore être d’actualité. A quelques jours de l’invasion de la Russie en Ukraine, le président russe Vladimir Poutine déclarait avoir obtenu le soutien de la Chine de Xi JINPING dans le bras de fer qui l’oppose aux Occidentaux au sujet de l’Ukraine. En ce sens il déclarait que « En ce qui concerne nos relations bilatérales, elles ont progressé dans un esprit d’amitié, de partenariat stratégique. Elles ont acquis un caractère vraiment sans précédent ».
Cependant, il est à noter que les relations entre la Russie et la Chine malgré les points de convergence ci-dessus relevés et exacerbés par les échanges économiques n’entrainent pas une exclusivité. La nuance soulevée plus haut entre l’alliance et le partenariat prend tout son sens ici. Ne constituant pas des limites aux relations sino-russes, il peut être relevé toutefois que des divergences sont étouffées.
En effet, d’après les données provenant du FMI et récoltées en avril 2022, la Chine se classe en deuxième position derrière les Etats-Unis dans le classement des pays les plus riches au monde et des plus grandes puissances mondiales en 2022 par le PIB. Dans ce classement, la Russie se retrouve en onzième position, ce qui peut sous-entendre un problème de leadership car pour Moscou, passer du rang de « grand frère » à celui de « petite sœur » ne peut être que difficile à accepter, d’autant plus que la Chine comme la Russie sont aujourd’hui toutes deux engagées dans une stratégie de retour à la puissance[9].
Au-delà, il est possible de relever que l’intensification des échanges au courant de l’année 2022 mise en exergue plus haut ne participe finalement qu’à asseoir une certaine dépendance de la Russie à la Chine. En effet, la Chine n’a pas d’intérêt non plus à condamner la guerre, car l’isolement de la Russie lui est profitable[10].
Finalement, ceci implique la difficile qualification de la Chine comme allié de la Russie. La relation qui peut être avancée ici est très certainement celle de partenaire même si lorsqu’on scrute la trajectoire de ces deux puissances, des éléments de convergence font émerger des points d’achoppement. Du côté russe également, la méfiance apparait de mise. En effet d’après François CHIMITS, il y a une grande méfiance de part et d’autre, et surtout du côté russe. Moscou est très prudent à l’égard de son partenaire, notamment en ce qui concerne les technologies numériques chinoises que les administrations et l’armée russe rechignent à utiliser.
CONCLUSION
Finalement, les relations entre la Chine et la Russie s’accommodent des fluctuations de la scène internationale. L’examen des relations entre la Chine et la Russie à l’heure de la guerre expose une accentuation des relations entre ces deux puissances. Ce rapprochement doit être compris comme une consolidation des efforts entrepris depuis plusieurs décennies déjà. Au-delà des conséquences de la guerre exposées ici, il convient de noter que la guerre encline davantage ces deux puissances à poursuivre leur dessein de renverser l’unipolarité notée sur la scène internationale.
Toutefois, le réalisme se dégageant de cette relation démontre de part et d’autre une certaine méfiance et en même temps un certain positionnement. La guerre en définitive ne fait qu’exacerber ce qui était implicitement suscité. L’isolement russe par la communauté internationale au lieu de fragiliser la Russie aboutit à un certain repli stratégique vers la Chine en témoigne le volume des échanges noté en 2022. Au-delà c’est très certainement la justification ou plutôt encore la réalisation des projections portées à travers la mise en place de l’Organisation de coopération de Shanghai en 2001. 22 ans plus tard, l’objectif est toujours de rompre l’unipolarité et d’installer un autre pôle.
REFERENCES
- Philippe Braillard et Mohamed-Reza Djalili, les relations internationales, collection Que sais-je ?, 2012 128 P
- Philippe Moreau DEFARGES, la communauté internationale ; PUF, collection Que sais-je ? Paris 2000, p.36.
- https://unric.org/fr/onu-et-la-guerre-en-ukraine-les-principales-informations/
- https://www.unige.ch/lejournal/recherche/automne-2022/chine-russie/
- http://www.irenees.net/bdf_fiche-documentation-616_fr.html
- Valérie Niquet, « La relation russo-chinoise à l’ombre de la nouvelle Administration américaine », Revue Défense Nationale, vol. 802, no. 7, 2017, p. 27.
- https://fr.euronews.com/2022/03/11/relations-chine-russie-le-risque-est-de-voir-l-occident-s-isoler-a-son-tour
- https://information.tv5monde.com/info/Samarcande-vladimir-poutine-et-xi-jinping-la-chine-n-est-pas-un-allie-mais-un-partenaire
[1] Philippe Braillard et Mohamed-Reza Djalili, les relations internationales, collection Que sais-je ?, 2012 128 P
[2] https://unric.org/fr/onu-et-la-guerre-en-ukraine-les-principales-informations/
[3] Idem.
[4] Idem.
[5] Philippe Moreau DEFARGES, la communauté internationale ; PUF, collection Que sais-je ? Paris 2000, p.36.
[6] https://information.tv5monde.com/info/Samarcande-vladimir-poutine-et-xi-jinping-la-chine-n-est-pas-un-allie-mais-un-partenaire
[7] https://www.unige.ch/lejournal/recherche/automne-2022/chine-russie/
[8] http://www.irenees.net/bdf_fiche-documentation-616_fr.html
[9] Valérie Niquet, « La relation russo-chinoise à l’ombre de la nouvelle Administration américaine », Revue Défense Nationale, vol. 802, no. 7, 2017, p. 27.
[10] https://fr.euronews.com/2022/03/11/relations-chine-russie-le-risque-est-de-voir-l-occident-s-isoler-a-son-tour
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