IPSA AFRIQUE

Comment la guerre en Ukraine a exacerbé le racisme envers les réfugiés Africains ?

Par  TABOU Céline, Rédactrice/Analyste Chez IPSA Initiative pour la Paix et la Sécurité en Afrique.

Conscient de la montée du racisme dans le monde, le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, a placé la Journée internationale de la paix de cette année 2022 sous le thème – « Mettre fin au racisme. Bâtir la paix ».

Chaque année, le 21 septembre, l’ONU tient à ce que cette journée soit « consacrée au renforcement de l’idéal de paix, tant au sein des pays et des peuples qu’entre eux ». En effet, « le racisme empoisonne les cœurs et les esprits et fragilise la paix à laquelle nous aspirons toutes et tous. Le racisme arrache aux personnes leurs droits et leur dignité. Il exacerbe les inégalités et la méfiance », comme l’a expliqué ce dernier dans un message adressé à l’occasion du 100e jour avant la Journée internationale de la paix 2022.

C’est un moyen selon lui de lutter conjointement contre le racisme qui « gangrène les sociétés, normalise la discrimination et alimente la violence ». Or le 24 février 2022, l’armée russe a envahi l’Ukraine dans une opération qualifiée d’« opération militaire spéciale » par Moscou et de guerre russo-ukrainienne par les Occidentaux, des dizaines de milliers de personnes ont alors fui le pays pour se rendre vers les pays de l’Union Européenne.

Mais à l’arrivée, certains se sont vus acceptés sans conditions alors que d’autres ont été interdits d’entrer en Europe, principalement les Africains.

A la lecture d’articles de presse, de témoignages et de comptes rendus d’analystes et d’ONG, nous nous sommes demandés comment la guerre en Ukraine a exacerbé le racisme envers les Africains, ainsi que comment et pourquoi les gouvernements européens ont discriminé les Africains, également victimes de la guerre en Ukraine.

Pour y répondre, nous nous sommes d’abord penchés sur la manière dont les Non-Ukrainiens ont été traités lors de l’exode vers les pays de l’Union Européenne. En effet, de nombreux étudiants Africains ont lancé des appels de détresse sur les réseaux sociaux car ils ne pouvaient pas quitter l’Ukraine. Ces alertes ont été relayées par de nombreuses organisations  qui ont par la suite attesté du traitement inégalitaire des ressortissants étrangers voulant fuir l’Ukraine.

Par la suite, nous avons constaté que ce tri ethnique et/ou racial a mis en exergue le racisme structurel contre les personnes de couleur en Europe et dans le monde. De plus, au cours de l’année 2021, l’OMS a lancé un appel à un accès équitable aux vaccins contre la COVID-19 afin d’en élargir la portée en Afrique. Cet appel a pris plusieurs mois avant que les gouvernements ne reconnaissent à l’unisson qu’il était urgent politiquement et financièrement de mettre des fonds et des vaccins à la disposition du COVAX[1].

Récemment, le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a laissé entendre que le racisme est à l’origine du manque d’attention de la communauté internationale à l’égard de la détresse des civils de la région éthiopienne du Tigré, ravagée par la guerre.

1.   L’empathie sélective en Europe

 

Au début de l’année 2022, 23 000 étudiants Africains étaient inscrits dans des universités Ukrainiennes, représentant près de 30% des étudiants étrangers. En effet, l’Ukraine jouxte les frontières de l’Union Européenne et offre une éducation de qualité dans les domaines de la santé et des secteurs économiques et technologiques.

La renommée du pays en fait la cinquième destination des jeunes universitaires du continent Africain. Outre la qualité de l’enseignement, le coût moins élevé des études et de la vie, la reconnaissance des diplômes aux niveaux européen et mondial, sont les autres paramètres qui expliquent l’intérêt des jeunes Africains pour l’Ukraine.

Le 24 février 2022, vers 5 heures du matin, trois explosions se font sentir à Kiev annonçant le début de la guerre, qui a causé l’exode de plusieurs milliers de civils vers les pays voisins de l’Ukraine. Plus de 4 440 239 de personnes ont fui l’Ukraine.

 

Les réfugiés sont pris en charge une fois la frontière traversée en train, en voiture et parfois à pied. Les autorités ont organisé des trains d’évacuation gratuits à travers l’Ukraine et vers plusieurs pays de l’UE. La gare de Lviv accueille des trains bondés et est en proie à la cohue et au chaos.

Cette situation a mis en évidence le racisme à l’encontre des personnes de couleur. En effet, des vidéos circulent sur les réseaux sociaux sur lesquelles on y voit des soldats Ukrainiens repousser à l’arrière des files les personnes de couleur, pourtant résidentes légales en Ukraine, pour faire passer les personnes blanches.

Dès le début de l’invasion russe, les témoignages affluent, notamment tels ceux d’Africains qui ont été débarqués d’un bus en route pour la frontière, d’armes braquées sur un groupe d’Indiens ou encore d’insultes racistes répétées.

« Ils faisaient passer les femmes et les enfants d’abord, ce qui est normal », a raconté  un jeune homme à Slate.fr, cependant « sur le côté, il y avait plein de femmes Africaines avec leurs enfants que personne ne faisait passer devant, contrairement aux Ukrainiennes ».

Outre les blocages sur des kilomètres de bouchons d’exilés fuyant la guerre, de nombreux Africains ont été tabassés et insultés, à tel point que certains pour s’assurer de pouvoir passer ont dû payer les soldats Ukrainiens aux différents checks-points.

Cette situation a mis en avant une discrimination raciale aux différents points de passage pour sortir de l’Ukraine. Un groupe de cinq Népalais a raconté à Slate.fr qu’« il y a d’un côté la file des Ukrainiens, de l’autre celle des étrangers. D’un côté on les laisse tranquilles, de l’autre on les traite comme des animaux ». De même, « il donnait de la nourriture aux Ukrainiens, pas à nous », a souligné une jeune népalaise.

Le tri des réfugiés en fonction de leur origine a fait du bruit sur les réseaux sociaux, où les hashtag #AfricansInUkraine ou encore #IndiansInUkraine sont apparus. Un cri d’alarme en ligne visant à alerter sur le sort des milliers de ressortissants de pays d’Afrique et autres qui sont bloqués aux frontières Ukrainiennes, empêchés de quitter le pays.

Suite à l’appel à l’aide des étudiants Africains, le Président en exercice de l’Union Africaine et Président de la République du Sénégal, S.E. Macky Sall, et le Président de la Commission de l’Union Africaine, S.E. Moussa Faki Mahamat, « sont particulièrement préoccupés par les informations rapportées selon lesquelles les citoyens Africains, se trouvant du côté Ukrainien de la frontière, se verraient refuser le droit de traverser la frontière pour se mettre en sécurité ».

Dans un communiqué de presse, « les deux Présidents rappellent que toute personne a le droit de franchir les frontières internationales pendant un conflit » et assurent que les traitements différents à l’égard des Africains « seraient choquants et racistes et violeraient le droit international ». Ils ont exhorté le 28 février 2022 « tous les pays à respecter le droit international et à faire preuve de la même empathie et du même soutien envers toutes les personnes qui fuient la guerre, nonobstant leur identité raciale ».

De leurs côtés, les autorités nigérianes ont aussi exhorté les autorités frontalières de l’Ukraine et des pays voisins à traiter ses citoyens avec dignité. « Des informations regrettables indiquent que la police Ukrainienne et le personnel de sécurité refusent de laisser les Nigérians monter dans les bus et les trains vers la Pologne », a déclaré le porte-parole de la présidence nigériane Garba Shehu.

Un porte-parole du ministère sud-africain des Affaires étrangères a également affirmé que les Africains étaient victimes de mauvais traitements à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne, et que l’ambassadeur d’Afrique du Sud s’y était rendu pour aider un groupe de Sud-Africains, majoritairement des étudiants, coincés, à entrer en Pologne.

L’Union Africaine a appelé les « ambassades dans les pays voisins pour accueillir et orienter les citoyens Africains et leurs familles qui tentent de traverser la frontière de l’Ukraine pour se mettre en sécurité ».

En dépit des accusations de mensonges de la part de Kiev, neuf organisations Ukrainiennes de défense des droits humains ont prié les représentants de l’État « de lutter contre tout acte de discrimination, de xénophobie ou de racisme personnel ou institutionnel », et les pays dont sont originaires les ressortissants, ainsi que les pays limitrophes de l’Ukraine, de faciliter l’évacuation des personnes fuyant la zone de conflit.

Face à la polémique, le 1er mars, le ministre Dmytro Kuleba a déclaré sur les réseaux sociaux que « les Africains qui cherchent à évacuer sont nos amis et doivent avoir les mêmes opportunités de retourner dans leur pays en toute sécurité. Le gouvernement Ukrainien n’est avare d’aucun effort pour résoudre ce problème ».

Malgré la prise en compte du traitement inégalitaire des ressortissants étrangers voulant fuir le pays, les réalités restent toutes autres. Une fois arrivées en Europe, les personnes de couleurs constatent un traitement discriminant.

D’autant plus que les États membres de l’UE ont approuvé la proposition du 2 mars de la Commission européenne d’activer pour la première fois la directive sur la protection temporaire, qui octroie aux personnes déplacées par la guerre en Ukraine une protection globale et simplifiée, pour une durée maximale de trois ans.

Dans le texte, cette protection s’appliquera également aux citoyens d’autres pays résidant depuis longtemps en Ukraine, aux apatrides et aux ressortissants Ukrainiens. Pourtant, les personnes originaires des Etats tiers, notamment les pays Africains, sont exclus de ce dispositif d’urgence car il ne concerne pas « les ressortissants de pays tiers qui sont en mesure de regagner leur pays d’origine dans des conditions sûres et durables ». Les services devront alors examiner « le droit au séjour de ces personnes ».

Arrivés presque en même temps que les Ukrainiens, les étudiants et civils Africains n’ont donc pas bénéficié des mêmes aides qu’aux autres réfugiés. Selon une note d’Human Rights Watch, « des ressortissants étrangers vivant en Ukraine ont reçu un traitement inéquitable et ont été retardés alors qu’ils tentaient de fuir le conflit tout comme des centaines de milliers d’Ukrainiens ».

Avant l’invasion russe, 70 000 étudiants étrangers suivaient des études en Ukraine, selon l’Unesco. Environ 3 000 d’entre eux, majoritairement originaires du continent Africain, ont trouvé refuge en Allemagne après le début des combats.

Depuis leur arrivée, ils se sentent sur le sol allemand comme des réfugiés de seconde classe, selon un reportage diffusé sur France24. Ces derniers ne bénéficient pas du même système d’accueil et des privilèges accordés uniquement aux déplacés Ukrainiens. Comme dans d’autres pays d’Europe, ils ne bénéficient pas des mêmes droits leur permettant de s’intégrer rapidement et de reprendre leurs études.

Selon le site InfoMigrants[2], des groupes de déplacés Africains, ainsi que des représentants du Conseil des réfugiés de Berlin et d’autres ONG, ont manifesté devant le Sénat allemand pour réclamer l’égalité des droits pour les ressortissants de pays tiers fuyant l’Ukraine et pour les autres réfugiés.

D’autant que les Ukrainiens en fuite ont un accès rapide et moins bureaucratique aux permis de séjour, aux permis de travail et aux prestations sociales en Allemagne. Même chose en France.

En vertu du droit à la « protection temporaire » dans toute l’Union Européenne, le site service-public de la France précise que les personnes déplacées d’Ukraine en raison du conflit disposent du droit de séjour ; d’un accès au marché du travail ; d’un accès au logement ; d’une aide sociale ; d’une aide médicale ; et du droit à la tutelle légale pour les mineurs non accompagnés ainsi que l’accès à l’éducation.

Autant de droits auxquels n’ont pas accès les réfugiés Africains, selon les modalités de la directive de l’Union Européenne. En Suisse, Salomon Séa a expliqué sur la chaîne BBC qu’il souhaiterait continuer ses études mais il n’est pas éligible au permis S qui est donné aux Ukrainiens et qui accorde sur le plan administratif l’accès à l’éducation ou encore à des aides sociales et médicales.

Ce dernier a dit être « venu avec un ami Ukrainien que j’avais croisé à la frontière de la Pologne, nous sommes rentrés ensemble. Aujourd’hui, il continue les cours et moi, je suis là dans des situations compliquées. On nous pousse vers la demande d’asile, tout en sachant que cette demande d’asile te sera refusée. Donc c’est super compliqué ».

D’autant plus que les étudiants Africains « ne sont pas menacés dans leur pays. Donc ils n’ont pas de motif d’asile. Ce qui signifie qu’une demande d’asile risque fort d’être rejetée », a expliqué Etonam Ahianyo, coordinateur de l’association Save African Ukraine.

C’est la Pologne qui accueille de très loin le plus grand nombre de réfugiés, qui arrivent en flots continus depuis le début de l’invasion russe, le 24 février 2022.  Or le pays est pointé du doigt par Amnesty international, qui atteste que « la Pologne et d’autres pays européens ont ouvert leurs frontières aux citoyen·ne·s Ukrainiens, la manière dont la Pologne a traité les personnes fuyant d’autres zones de conflit, en s’appuyant sur des politiques et des infrastructures visant à dissuader et à retenir les personnes aux frontières, est indigne ».

« Les récits de discrimination et de racisme par les forces de l’ordre en Ukraine et en Pologne à l’égard des étrangers noirs, étudiants pour la plupart montrent bien que la reconnaissance symbolique du statut de réfugié a partie liée avec la racialisation des personnes. Renvoyés au statut de migrants indésirables, les étudiants nigérians se heurtent aux mêmes barbelés que les demandeurs d’asile syriens, irakiens ou afghans », a expliqué la sociologue Jocelyne Streff Fenart.

2.   Un racisme avéré des occidentaux

 

D’ailleurs, le « tri racial » opéré à la frontière de l’Ukraine a mis en exergue une stratégie déjà instaurée par l’administration européenne. En effet, dès 2015, l’UE a installé des hotspots, notamment en Grèce, par l’initiative de la chancelière Angela Merkel et du président français François Hollande afin d’enregistrer les migrants à leur arrivée aux frontières.

Il s’agit d’une « procédure rapide mais déjà sélective de ‘pré-identification’ », a expliqué Claude Calame. Par la suite, l’administration doit décider si les exilés relèvent du droit d’asile ou d’un autre type de migration.

Il s’agit tout bonnement de centres de tri, « installés dans des campements surpeuplés, dans des conditions de promiscuité et de précarité matérielle, sanitaire et psychique les plus extrêmes ». Or l’augmentation, depuis 2015, du nombre de réfugiés arrivant dans l’UE  via la mer Méditerranée et les Balkans, depuis l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud a poussé les Européens à être plus sélectif en matière d’asile et d’immigration.

Les discours politiques et médiatiques parlent alors de « crise migratoire » qu’il faut enrayer et des dangers de l’immigration. Pourtant, la situation des Ukrainiens est similaire à celle des étudiants Africains, qui voulaient quitter le pays, et aux millions d’Africains qui quittent leur pays à cause de la guerre.

Il existe donc des contrastes dans la prise en charge des populations se traduisant, comme l’a expliqué Jocelyne Streff Fenart, par « un changement notable dans les mots utilisés pour configurer les situations d’afflux de personnes en exil ».

Dans le cas des Ukrainiens arrivant en Europe, tous les politiques  ont appelé à l’accueil des réfugiés et à une solidarité et « protection temporaire » de trois ans. A l’inverse, les non-Ukrainiens seront qualifiés de « migrants », laissant entendre « migrants économiques », c’est-à-dire de « faux réfugiés ». Rapidement, les « ressortissants de pays tiers » non-Ukrainiens, comme l’a indiqué le gouvernement français, sont stigmatisés et soumis au droit d’asile.

De fait, « l’omniprésence dans les discours politiques de la différenciation entre réfugiés et immigrés, la mise en place de dispositif de triage entre ces deux catégories (les hot-spots), ont conforté l’idée qu’il y avait des ‘bons’ à considérer avec bienveillance et des ‘mauvais’ à considérer avec suspicion ».

L’étiquette « migrant » a une connotation négative, car attachée à l’image des bateaux de migrants qui traversent la mer pour rejoindre l’UE, à l’instar des kwasa kwasa entre les Comores et Mayotte. Cette vision péjorative du migrant le condamne « à l’invisibilité, au rejet, à l’exclusion, à la disparition, quels que soient son origine, sa langue, sa culture, sa religion, son statut social », selon Claude Calame.

A l’inverse, le terme « réfugié », octroyé aux Ukrainiens, autorise à l’empathie en raison de la proximité avec les Ukrainiens : proximité géographique d’un pays en guerre « aux portes de l’Europe », proximité socio-économique et proximité culturelle favorisant l’identification à des gens « qui nous ressemblent », a souligné Jocelyne Streff Fenart.

Cette dernière a précisé que « les réfugiés sont d’autant plus valorisés qu’ils sont perçus comme blancs/européens comme le sont les Ukrainiens, et les migrants sont d’autant plus stigmatisés qu’ils sont perçus comme Africains/noirs ».

Pour le politologue Ziad Majed, la « magnifique solidarité et l’humanisme » envers l’Ukraine illustrent une « distinction choquante » qui révèle une « déshumanisation des réfugiés du Moyen-Orient » et d’Afrique. « On aurait souhaité voir cette solidarité pour tout réfugié, vulnérable, bombardé, qui essaye de fuir pour sauver les siens. Quand on entend certains commentaires parlant de +gens comme nous+, ça laisse entendre que ceux qui viennent de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan ou d’Afrique ne le sont pas », a souligné ce dernier.

« Ce n’est pas (…) l’Irak ou l’Afghanistan. C’est une ville relativement civilisée, relativement européenne (…) où on ne se serait pas attendu à ça », a affirmé  l’envoyé spécial de CBS News en Ukraine, Charlie D’Agata, ou encore Philippe Corbé, chef du service politique de la chaîne BFMTV: « C’est pas des départs en vacances. Ce sont des gens qui fuient la guerre. […] On parle pas de Syriens qui fuient les bombardements du régime syrien […] on parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie, quoi »[3].

L’ethnocentrisme au sein des cultures occidentales se traduit « dans la distinction différentielle entrenous’ et les autres, (…) nous conduit de la race au racisme, de la délimitation et de la configuration d’une catégorie à une attitude de rejet et d’exclusion de celles et ceux qu’on englobe dans cette catégorie », a indiqué Claude Calame.

Une chose est donc évidente : journalistes et politiques « n’expriment rien d’autre que leur racisme », comme l’a conclu à Arrêt Sur Image, Ellen Salvi, journaliste à Mediapart.  De son côté, l’Association américaine de journalistes arabes et du Moyen-Orient (AMEJA), a dénoncé les « exemples de couverture médiatique raciste, donnant plus d’importance à certaines victimes de guerre qu’à d’autres ».

Ce racisme médiatique et politique est d’autant plus frappant qu’il met en exergue les différences de traitement des gouvernements occidentaux envers les pays en crise, notamment en Afrique et en Orient. En effet, « le monde ne traite pas la race humaine de la même façon. Certains sont plus égaux que d’autres », a lancé le Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus, face à la médiatisation de la crise Ukrainienne, beaucoup plus importante que les autres crises dans le monde.

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Dr. Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déploré que « seule une fraction de l’aide apportée à l’Ukraine est consacrée à d’autres crises humanitaires ». S’alarmant que la province du Tigré ne reçoit pas la même attention, il a également évoqué les crises négligées du Yémen, de l’Afghanistan et de la Syrie, et les crises qui ont débuté des années avant l’intervention russe en Ukraine et qui mettent en avant des suspicions de crimes de guerre, entre exécutions extrajudiciaires et violences sexuelles.

La prise de parole du patron de l’OMS a surpris car pour la première fois, un haut dirigeant international a mis les mots là où il fallait : « Je ne sais pas si le monde accorde vraiment la même attention aux vies noires et blanches ». Signe que « la forte différence de traitement face à des situations de détresse pourtant très semblables et intervenant de façon très rapprochée » est particulièrement exacerbée avec le conflit russo-ukrainien, comme l’a expliqué Jocelyne Streff Fenart.

Ses propos traduisent surtout un constat alarmant. Les aides allouées aux réfugiés Ukrainiens ne sont pas les mêmes qu’aux autres réfugiés du globe, mais surtout le soutien de la communauté internationales aux crises en Afrique, au Proche et Moyen Orient et en Asie ne sont pas à la hauteur des besoins et diffèrent en fonction des crises émergentes dans leur zone d’empathie.

Par exemple, l’Union Européenne a accordé une assistance macrofinancière (AMF) d’un montant maximum de 9 milliards d’euros pour l’année 2022, sous forme de prêts, pour aider l’Ukraine à faire face aux conséquences de la guerre[4].

Globalement, après six mois de conflit, l’Ukraine bénéficie de plusieurs aides : 56,5 milliards d’euros ont été distribués par les sept grandes puissances selon les données de l’Institut Kiel pour l’économie mondiale, et 84,2 milliards d’euros d’aide ont été promis par 41 pays du monde, depuis le début du conflit jusqu’au 3 aout.

Dans le détail, les Etats-Unis sont en tête du classement, avec 44,53 milliards d’euros d’aides annoncées jusqu’au 3 août. En prenant en compte la déclaration de Joe Biden le 24 août, le montant s’élève désormais à 47,5 milliards d’euros.

En comparaison, l’aide financière attribuée au Tigré, terre d’origine du patron de l’OMS, est consternante. L’Ethiopie ne reçoit plus aucune aide extérieure depuis mi-2021, selon le site européen, Protection Civile et Operations d’Aide Humanitaire Européennes.

En novembre 2020, le conflit, situé dans le nord de l’Éthiopie, a provoqué une situation humanitaire désastreuse. Le Premier ministre Abiy Ahmed a envoyé l’armée dans la région pour destituer les autorités locales du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) à la suite, selon lui, de l’attaque de camps militaires par des forces tigréennes.

En janvier 2021, le Comité international de la Croix-Rouge, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ont demandé environ 53 millions de dollars aux donateurs internationaux. Pourtant, les États-Unis ont décidé de suspendre en février 2021 une partie de leur aide financière d’un montant de 272 millions de dollars à destination de l’Éthiopie, en raison des récents développements dans le pays. De son côté, l’Union Européenne a décidé de consacrer 58 millions d’euros à des projets humanitaires en Éthiopie pour l’année 2022, dont des actions auprès des populations affectées par les conflits et la sécheresse.

Pourtant quelque 5,2 millions de personnes – soit plus de 90% de la population du Tigré – vivent grâce à l’aide extérieure, selon l’ONU. Une situation alarmante qui a fait sortir de ses gongs le chef de l’Organisation Mondiale de la Santé.

D’ailleurs, en Afrique orientale et australe, « à la fin de 2021, près de 130 millions de personnes, dont 65 millions d’enfants, avaient besoin d’une aide humanitaire en Afrique orientale et australe en raison des chocs climatiques, des urgences sanitaires (dont le COVID-19), des conflits, de la détérioration économique et des déplacements de populations ».

En 2022, la Commission européenne a alloué une aide humanitaire de 294,2 millions d’euros pour venir en aide aux populations vulnérables de cette région. La même année, la Banque mondiale a approuvé un programme de 2,3 milliards de dollars pour « aider les pays d’Afrique de l’Est et australe à accroître la résilience des systèmes alimentaires de la région et leur capacité à agir contre la montée de l’insécurité alimentaire ».

Pour la région d’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale, l’Union Européenne a engagé, en 2022, un budget humanitaire de 175 millions d’euros.  La région est l’une des régions les plus pauvres et les plus fragiles du monde, en raison des conflits aggravés par l’insécurité alimentaire, la malnutrition chronique, les risques naturels, les épidémies et le changement climatique. En 2021, plus de 35,2 millions de personnes de la région ont eu besoin d’une aide d’urgence.

Chris Heitzig, chercheur à l’International Growth Center, et Richard Newfarmer, directeur pays pour le Rwanda et l’Ouganda à l’International Growth Center, ont expliqué que « la tentation des dirigeants des pays riches de rediriger l’aide à l’Afrique vers l’Ukraine » doit être évitée. Pourtant les chiffres sont là : plus de 90 milliards de dollars d’aide (UE+G7), contre environ 2,8 milliards de dollars pour le continent Africain[5].

Chris Heitzig et Riachrd Newfarmer ont précisé qu’en 2022, « les aides accordées à l’Ukraine par le Comité d’aide au développement  (CAD) de l’OCDE ont augmenté de 145%, tandis que l’aide octroyée à l’Afrique subsaharienne diminuait de plus de 5%  (la plus forte baisse en dix ans), malgré la récession économique dont souffre une bonne partie de la région ».

Ce constat met en exergue une aide humanitaire et financière à deux vitesses. D’un côté, les Ukrainiens, proches des valeurs occidentales, ont reçu en 6 millions plus de 90 milliards de dollars, et de l’autre, les populations Africaines, stigmatisées ou rejetées, peinent à lever pour l’ensemble du continent près de 2,8 milliards. Cette situation n’est hélas pas nouvelle, car en 2014, lorsque la Russie a annexé la Crimée, les pays riches ont détournés les ressources de l’Afrique alors que la région était au bord  d’une récession causée par la chute des prix des matières premières.

De plus, la période s’annonce précaire en Afrique. Outre la hausse des prix alimentaires et  des coûts de l’énergie, une croissance économique plus lente des grands marchés d’exportation auront un impact sur les populations. Car à cette conjoncture déjà tendue, les pays Africains doivent composer avec de hauts niveaux d’endettement, en raison de la récession  causée par la pandémie en 2020-2021, qui a obligé les gouvernements à bâtir dans l’urgence des programmes d’aides aux ménages pauvres et aux petites entreprises.

Conclusion

 

Dans un tel contexte, on constate que les crises ne sont pas gérées de la même manière par les pays riches. D’autant plus si les réfugiés sont originaires du Nord ou du Sud du Globe. Le racisme ou l’ethnocentrisme est un des composants clés de l’action politique des gouvernements occidentaux.

La particularité de l’invasion russe en Ukraine sera la mise en évidence de ce que beaucoup savaient mais taisaient, le niveau d’empathie des pays occidentaux dépend de sa perception des populations à aider. Or désormais, experts, journalistes, militants et associations porteront très certainement un regard différent sur l’aide humanitaire et les dons alloués par les Occidentaux en Afrique, et dans les zones en crises.

Comme l’ont expliqué Chris Heitzig et Riachrd Newfarmer, les États et les autres donateurs doivent contribuer de manière équitable, sans se garder de différer leurs aides et soutiens dans le cadre d’initiatives telles que l’Alliance mondiale pour la sécurité alimentaire, le Cadre commun du G20 pour les traitements de la dette  et le dispositif d’accès mondial et équitable aux vaccins contre le Covid-19  (COVAX).

D’autant plus qu’aujourd’hui les programmes d’aide au développement pour l’Afrique sont cruciaux afin de lutter contre la pauvreté, et les pénuries alimentaires qui risquent de précipiter certaines populations dans la famine.

D’ailleurs, le Dr Richard Kojan et le Dr Moumouni Kinda ont expliqué dans une Tribune, publiée par La Croix, que « les pays occidentaux ne pourront plus refuser des réfugiés d’Afrique, d’Asie ou du Moyen-Orient ‘sous des prétextes fallacieux’ », sous peine d’être ouvertement accusés de racistes.

Le prétexte du réfugié kilomètre, « c’est-à-dire celui qui cherche refuge près de chez vous », s’est maintenant imposé aux Européens et Occidentaux. Alors que durant des années, les humanitaires ont « essayé de le rapprocher de vous, en vous donnant à voir, à travers nos ONG et nos campagnes d’appels à dons, les horreurs du déracinement, du dénuement et, pire encore, du déni », ont écrit les deux médecins de l’ONG humanitaire Alima.

Il est désormais temps pour les pays riches de partager leurs richesses, le plus souvent acquises dans des pays aujourd’hui dans le besoin, pour lutter efficacement et durablement contre les fléaux en Afrique. Cela passe par la fin du modèle post-colonial encore instauré dans le continent, et la coopération, et non les luttes d’influence entre grandes puissances qui tirent profit des crises.

Pour assurer une aide équitable, la perception des Occidentaux doit évoluer, il est question de vie humaine qu’elle soit originaire d’Afrique ou d’Ukraine. Comme le secrétaire général des Nations Unies l’a expliqué dans son message pour la Journée internationale de la paix, chaque personne doit « renouveler les liens de solidarité qui nous unissent en tant qu’êtres humains et à retrousser les manches et construire un avenir meilleur et plus pacifique ».

Pour cela, les gouvernements doivent assurer un traitement juste et équitable pour tous les réfugiés en Europe et dans le monde, sans distinction de couleur, de religion et de sexe. Sur le sol européen, le développement de programmes d`inclusion, de protection et d`assistance, initié par l’Allemagne et l’UE, doit être promu à tous les groupes vulnérables et des réfugiés.

Les pays riches et les pays en voie de développement doivent s’accorder sur une coopération économique profitant à chacun et assurant un développement économique et social durable, permettant aux populations de vivre en paix et en sécurité. Une coordination globale des aides financières et humanitaires, et des plans nationaux économiques pourraient éviter d’endiguer certains conflits et éviter les exodes de population.

Le maître mot « Mettre fin au racisme. Bâtir la paix » d’Antonio Guterres signifie accueillir les réfugiés sans distinction et avec humanité. Il signifie également mettre fin aux conflits ethniques et religieux en Afrique, stopper la violence et les guerres, « en favorisant le dialogue et en nous attaquant aux causes profondes des inégalités ».

Bibliographie

 

Agence France Presse. (2022). Des comparaisons entre les réfugiés Ukrainiens et ceux du Moyen-Orient créent la polémique: “Une distinction choquante”. RTL. https://www.rtl.be/info/monde/international/-on-ne-parle-pas-la-de-syriens-qui-fuient-les-bombardements-on-parle-d-europeens-qui-partent-dans-leurs-voitures-qui-ressemblent-a-nos-voitures-1360483.aspx

Agence France Presse. (2022). Guerre en Ukraine : les réfugiés africains discriminés aux frontières. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1865555/guerre-ukraine-refugies-africains-discrimination-frontieres

Agence France Presse. (2022). Un demi-million d’Ukrainiens ont fui dans les pays frontaliers. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1865338/guerre-refugies-deplaces-ukraine-russie-pologne-lituanie

Banque Mondiale. (2022). La Banque mondiale approuve un programme de 2,3 milliards de dollars pour lutter contre l’insécurité alimentaire croissante en Afrique de l’Est et australe. https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2022/06/21/world-bank-approves-2-3-billion-program-to-address-escalating-food-insecurity-in-eastern-and-southern-africa

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[1] Covax est initiative ayant pour but d’assurer un accès équitable à la vaccination contre le Covid-19 dans 200 pays. Co-dirigé par l’Alliance Gavi, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) et l’OMS.

[2] Il s’agit d’un projet multiplateforme collaboratif piloté par trois grands médias européens : France Médias Monde (France 24, RFI, MCD), la chaîne allemande d’information internationale Deutsche Welle, et l’agence de presse italienne ANSA. Il est co-financé avec l’Union Européenne.

[3] Retrouvez la vidéo de l’émission : https://m.facebook.com/arretsurimages.net/videos/leurs-voitures-ressemblent-%C3%A0-nos-voitures-sur-les-plateaux-christophe-barbier-ol/685158379495975/?_se_imp=2NNLGNtIWXrBnzUIP

[4]  Selon la Commission européenne dans sa communication du 18 mai 2022 et approuvée par le Conseil européen les 23 et 24 juin 2022

[5] Données exhaustives

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