Par Mady Sissoko, Rédacteur chez IPSA Initiative pour la Paix et Sécurité en Afrique.
Les dirigeants des pays membres de la communauté économique des états de l’Afrique l’ouest (CEDEAO) réunis à Accra le samedi quatre juin 2022 pour s’entendre sur les sanctions prises contre le Mali, le Burkina Faso et la Guinée Conakry. Sans grande surprise le dossier le plus brulant « Mali » n’a pas permis les chefs d’état à s’entendre pour une décision commune. Les discussions se tournaient autour d’un durcissement ou d’une atténuation des sanctions contre les trois pays, mais en tête le Mali, qui a décidé de prendre sa destinée en main avec ou sans l’appui des organisations sous- régionales.
Pour rappel, les sanctions ont été officiellement infligées sur le Mali le 09 janvier 2022 lors d’un sommet extraordinaire des chefs d’état à Accra dans la capitale Ghanéenne. Cette décision de sanction a été actée par le gouvernement Malien à travers le conseil des ministres extraordinaire du lundi 10 janvier 2022, par la suite le gouvernement a fait un appel à la mobilisation générale sur toute l’étendue du territoire national en demandant aux autorités religieuses et coutumières d’organiser des séances de prières dans tous les édifices de culte et a décidé aussi de l’élaboration d’un plan de riposte pour sauvegarder la souveraineté et préserver l’intégrité du territoire national.
- Le Burkina – Faso, un pays sec comme le Mali, a connu son sort le 28 janvier lors d’un sommet virtuel. Arrivé aussi au pouvoir à travers un coup d’état militaire, le nouvel homme fort du pays avait manifesté sa volonté de ne pas fermer la porte au dialogue pour ne pas sombrer dans une crise économique profonde après celle de l’insécurité. Cependant, il est très important de faire aussi une analyse profonde de la situation sociopolitique du pays en lien avec les aspirations du peuple pour ne pas tomber dans le piège du passé. Cela ne serait possible sans engager un véritable dialogue et de discussion avec l’ensemble des classes politiques, la société civile, les jeunes, les femmes et les légitimités traditionnelles. En effet, un temps d’adaptation et d’organisation s’imposait pour mieux organiser ces cadres, mais tous portent à croire que la CEDEAO ne voulait un autre scénario de celui du Mali surtout que le peuple Burkinabè avait donné une alerte lors d’un convoi militaire de la force Française Barkhane en partance au Mali. Cela nous amène à se poser des questions si la CEDEAO a pour objectif le bien-être des populations des pays membres ou si elle serait un syndicat des chefs de l’état ou un instrument de pression d’une puissance étrangère ?
- Quant à la Guinée Conakry, elle n’est pas sous embargo de la CEDEAO et ne serait sous sanction monétaire car elle dispose sa propre monnaie et a un accès sur la mer, donc les sanctions n’auront ni d’effets ni impacts. La position géographique et politique monétaire de la Guinée oblige les chefs d’état à se limiter seulement à la suspension du pays de toutes les instances de décision de la CEDEAO avec menaces de sanctions sans en préciser la nature. Il faut noter cependant, que l’hésitation de la levée des sanctions par la CEDEAO explique un certain nombre d’éléments important selon les opinions dans les trois pays concernés.
- Pourquoi la CEDEA hésite à lever les sanctions contre le Mali, le Niger et la Guinée Conakry :
Il y a un vent nouvel des coups d’état en Afrique mené par des jeunes officiers nationalistes (au « Mali le 18 aout 2020 et le 24 mai 2021, en Guinée en septembre 2021 et le Burkina Faso le 24 janvier 2022 ») dans un soutien presque sans égal d’une grande partie de la classe politique, la société civile, des jeunes et des regroupements féminins, oblige l’organisation sous régionale à déclencher l’alarme de sauvetage pour éviter le risque de contagion et d’élargissement dans les autres pays membres. C’est bien cela qui justifie en premier, la multiplicité des sommets, les pressions, les sanctions et même des menaces d’intervention à travers la force d’attente qui n’existe » que sur papier ».
Cette nouvelle génération qui dirige les affaires dans les pays concernés est animée d’un sentiment de rupture avec le passé en lien avec l’aspiration des peuples, à diversifier les partenaires dans tous les secteurs (mine, commerce, défense, sécurité et transport …). Cela constitue un autre élément important qui justifie l’hésitation des chefs d’état sur la levée des sanctions contre les pays qui ont presque enclenché ce processus (Mali, le Burkina et la Guinée Conakry). Quelques évènements corroborent cette version si on se réfère sur les différents désaccords entre le Mali et la France qui ont abouti à la rupture du traité de coopération militaire, l’exclusion de l’ambassadeur de la France au Mali, l’interdiction de survoler l’espace aérienne du Mali par les avions militaires Français sans l’accord du gouvernement malien, la fixation unilatérale de la durée de la transition juste après le dernier sommet de la CEDEAO, les différentes marches citoyennes organisées par la société civile et les jeunes activistes Burkinabè, le blocus du convoi militaire de la force Française au Burkina et au Niger … Il existe bien les germes d’autres actions citoyennes courageuses au Burkina Faso et bien sûr qu’en Guinée Conakry.
Selon certains observateurs indépendants, il existe bien évidemment la mainmise de la France sur la CEDEAO. Cela s’explique par la sortie ratée du 11 janvier 2022 du président Macron en annonçant son soutien et sa position à la CEDEAO et à l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). A cela s’ajoute l’annonce de son appel téléphonique au président en exercice de l’organisation sous régionale de brandir des lourdes sanctions contre le Mali après les différents désaccords entre les deux pays. D’autres prennent même l’exemple sur la situation du Tchad « politique de deux poids- deux mesures » de la part de la France. Autrement, certains chefs d’état seraient récemment élus ou réélus dans des conditions très floues, sous tentions et de contestation. En Côte D’Ivoire un cas de force majeure justifie le troisième mandat du président Alassane Ouattara, au Niger, une tentative de coup d’état contre le président Bazoum avant même son investiture et au Sénégal, la position du président reste à clarifier pour ou pas un troisième mandat.
La récente démonstration de la coalition politique Yewwi Askan Wi serait une belle illustration. Cependant, tous portent à croire que les présidents sont sur deux logiques majeures. La première serait de se protéger contre la nouvelle vague en mettant la barre des sanctions très haute pour mieux dissuader les prochains candidats qui souhaitent prendre le pouvoir par d’autres voie qui ne sont pas celles qui sont prévues par les textes(démocratique). Autre logique à retenir serait le respect de la politique de « l’ami de mon ami est mon ami et l’ami de mon ennemi est mon ennemi ». Il existe des liens politiques forts entre ces différents chefs d’état en exercice avec la France et de certains leaders politiques Français. Contrairement aux nouvelles autorités qui sont à la tête des trois pays « Mali, Burkina Faso et la Guinée Conakry » qui ne disposent pas d’entrées politiques en France, qui n’ont que le soutien de leurs peuples en quête de « la liberté, d’une justice impartiale, le développement en générale à travers une bonne gouvernance, la sécurité et la sûreté des personnes et de leurs biens ».
2. Les impacts des sanctions de la CEDEAO contre le Mali, la Guinée et le Burkina :
Enclavés, le Mali et le Burkina dépendent grandement des ports Ivoiriens et Sénégalais, deux pays de la CEDEAO avec lesquels ils ne peuvent désormais plus échanger. Ces sanctions impacteront forcément sur les quotidiens des populations dans le domaine des échanges en matière de commerce et de transactions monétaires. Il faut comprendre que nous sommes dans un monde de plus en plus globalisé, en effet un état qui ne souhaite pas limiter son avenir ouvre ses frontières aux autres donc les sanctions infligées sur le Mali et le Burkina impacteront aussi forcément certains pays de la sous- région tels que la Cote D’ivoire, et le Sénégal. Il faut retenir que le Mali est un pays frontaliers à la Cote D’ivoire, à l’Algérie, à la Mauritanie et au Sénégal, en particulier, le Mali est le seul pays qui fait frontière à la Guinée Conakry contrairement au Burkina. Les données statistiques ont montré que plus de 75% des dossiers à traiter par la Douane Sénégalaise proviennent du Mali et il y a actuellement des milliers de camions en souffrance aux frontières. Il en va de même pour la Cote D’Ivoire, qui vit du bétail malien. Si la situation perdure, le prix du kilo de viande risque d’augmenter en Côte D’Ivoire.
Donc certains analystes ne se sont pas trompés de dire que le Sénégal et la Cote D’Ivoire se sont tirés une balle dans les pieds en sanctionnant le Mali et le Burkina. Il existe un risque de repositionnement et de diversification de partenariat en matière de commerce et de transport par le Mali et le Burkina – Faso avec d’autres pays littorales tels que la Guinée Conakry, la Mauritanie et l’Algérie. Cependant, Il existait une relation politique et sociale très profonde entre les différents pays membres de la CEDEAO, mais de nos jours, ces relations sont très fébriles à cause des sanctions infligées contre le Mali, le Burkina et la Guinée Conakry. Cette situation serait la cause de rupture de plusieurs partenariats inter – états membre de la CEDEAO, et elle permettra aux nouvelles autorités d’avoir le soutien de leurs populations car elle créera un sentiment nationaliste aux citoyens de faire un bloc pour soutenir les autorités en charge de la gestion de leurs pays. Elle grandirait aussi un sentiment anti CEDEAO, pour qui connait le niveau de décalage entre les jeunes et les gouvernants.
Ainsi, la somme des évènements récente aurait orientée les citoyens vers une lecture objective par rapport à une reconfiguration politique et structurelle de la CEDEAO et de l’UEMOA en lien avec les objectifs fondamentaux des citoyens des pays membres. Selon certains observateurs, le cas du Mali constitue une alerte forte, dans ce cas précis, nous pouvons dire que la politique a primé sur le droit. Pour rappel, la cour de justice de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) a ordonné la suspension des sanctions économiques imposées au Mali par des chefs d’état et de gouvernements de l’UEMOA en janvier 2022, cet arrêt n’a rien servi en fin de compte. Donc tous portent à croire que les différentes sanctions contre les trois pays seraient la volonté de quelques personnalités au profit d’un système et un pays. Il faut noter aussi que si on se réfère sur les différents créneaux de manifestation des forces de changement au Mali, au Burkina et en Guinée, il y a bien sûr une constatation de sentiment anti CEDEAO qui risque de s’installer et imposer le changement.
Conclusion :
A la lumière des commentaires de certains observateurs et citoyens des différents pays sanctionnés, l’organisation sous-régionale (CEDEAO) serait aujourd’hui dans une posture de déviance idéologique complétement contraire aux aspirations fondamentales des peuples. Si ses objectifs étaient une communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) en proposant de « promouvoir la coopération et l’intégration dans la perspective d’une union économique de l’Afrique de l’ouest en vue d’élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d’accroitre la stabilité économique. Il n’est plus à démontrer aujourd’hui que les chefs d’états de l’organisation se soucient plutôt de leurs propres promotions pour leur maintien au pouvoir que l’esprit initial de la création de l’organisation. Cependant, en lieu et place de l’organisation nous assistons à la division, au lieu d’accroitre le niveau de l’économie nous assistons à la régression à travers l’arrêt du flux commercial dans l’espace communautaire, en lieu et place de la paix nous assistons à la création et à l’installation des conflits entre les Etats.
Il faut comprendre aussi que les hésitations de la CEDEAO ne font que réconforter les citoyens dans leurs idées critiques de l’organisation d’être un syndicat des chefs d’état.
Notes et Références:
- Communiqué du sommet du 9 janvier 2022 des chefs d’état de la CEDEAO à Accra dans la capitale Ghanéenne sur la situation du Mali
- Communiqué du sommet virtuel du 28 janvier 2022 des chefs d’état de la CEDEAO sur le Burkina-Faso
- Communiqué du conseil des ministres extraordinaires du 10 janvier 2022 du gouvernement du Mali pour appeler à manifester contre les sanctions de la CEDEAO et de L’UEMOA
- Témoignage d’experts et citoyens des états membres
- Déclaration du président Macki Sall sur le cas spécifique de la Guinée Conakry (un pays littoral qui dispose sa propre monnaie)
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