Article écrit par Tewfik Hamel, Dr. en Histoire militaire, Collaborateur Chez IPSA Initiative pour Paix et la Sécurité la en Afrique
L’imaginaire stratégique de la République islamique d’Iran (RII) est façonnée par la nostalgie de restaurer la grandeur et l’héritage de l’empire perse. La configuration toutefois complexe du Moyen-Orient impose des contraintes à la capacité de projection de puissance de l’Iran. Les craintes d’une hégémonie iranienne sont exagérées, même si la volonté de l’Iran de projeter sa puissance est réelle. Ses dirigeants considèrent le Golfe Persique et une grande partie de l’Asie centrale comme l’ « étranger proche » où la culture, l’influence et les intérêts iraniens devraient être défendus. Quatre piliers composent l’objectif stratégique iranien consistant à « transformer l’Iran en une puissance régionale et internationale considérée comme l’égale des poids lourds de la scène mondiale »[1] : la continuité du régime, la lutte contre les menaces internes et externes, la consolidation de l’influence régionale et la réalisation du développement économiques. Ses forces armées et capacités navales et marines ont acquis un caractère décisif, en particulier lorsqu’elles sont utilisées dans les conflits de la « zone grise ».
L’Iran a développé une approche à « l’échelle du théâtre », utilisant différents territoires et domaines pour répondre aux adversaires, déployant du personnel et de l’expertise au-delà des frontières nationales. Ses efforts militaires, axés sur la sanctuarisation du territoire national, se focalisent principalement sur le Golfe persique, le détroit d’Ormuz et la golfe d’Oman et sur le développement de plans de défense opérationnelle basés sur la guerre asymétrique. Le pays mise sur le développement les capacités nécessaires pour exécuter une stratégie de « déni d’accès et d’interdiction de zone », comprises comme une « famille de capacités militaires utilisées pour empêcher ou restreindre le déploiement des forces adverses sur un théâtre d’opérations donné et réduire leur liberté de manœuvre une fois dans un théâtre. »[2] L’ambiguïté, l’incrémentalisme et la patience stratégique sont des composantes clés de la personnalité stratégique de l’Iran. Sa stratégie militaire, bien qu’elle inclût des éléments de défense avancée, est principalement axée sur la dissuasion. Ses dirigeants poursuivent une politique régionale ambitieuse et considèrent une armée puissante comme le principal garant de l’indépendance du pays. En tant que tel, l’autosuffisance est perçue comme la meilleure stratégie pour fournir aux forces armées l’autonomie nécessaire pour soutenir son objectif stratégique.
Autonomie militaire
Au moment de la révolution islamique de 1979, l’Iran était au plus bas niveau d’autosuffisance militaire. Sa longue expérience d’isolement stratégique a alimenté l’élan vers l’autonomie en matière de la défense. Le pays n’avait pas d’autre choix que de développer une industrie militaire locales en raison des sanctions. Le renforcement des capacités locales – axées sur la réalisation d’équipements divers dans les domaines terrestre, maritime, aérospatial et en particulier les missiles – façonne la stratégie actuelle et future des forces iraniennes. Le pays a fait des progrès substantiels et s’est imposé comme un important fabricant d’armes, exportées vers plus de 50 pays. Il a de nombreux programmes pour le développement de missiles balistiques et de croisière, de roquettes d’artillerie à longue portée, de lanceurs spatiaux, de navires, de sous-marins, de systèmes de défense aériens. L’industrie de défense de l’Iran s’est améliorée qu’il a ses propres sous-marins, avions de chasse et véhicules aériens de combat sans pilote.
Les séquelles de la guerre avec l’Irak ont renforcé la détermination de l’Iran de développer sa propres industrie militaire afin de réduire sa dépendance des fournisseurs étrangers, minimiser l’impact potentiel d’éventuels embargos et créer les bases d’une armée moderne capable de faire face à un éventail de menaces potentielles. En dépit toutefois des déclarations officielles sur la sophistication de l’industrie militaire iranienne, l’Iran est toujours à la traîne, comparée aux leaders mondiaux comme les États-Unis, l’Europe et la Russie. Ses capacités ne répondent aux besoins opérationnels des forces armées iraniennes et aux exigences de la guerre moderne, ce qui soulève des doutes quant à l’efficacité actuelle de la force militaire conventionnelle de l’Iran.
Le sentiment d’insécurité et l’insuffisance des ressources ont conduit l’Iran à envisager des solutions non conventionnelles pour résoudre son « dilemme de sécurité ». Tout au long des années 1990, les stratèges iraniens ont commencé à accorder plus d’attention aux principes de la guerre de manœuvre moderne. Au début de la décennie suivante, les objectifs fondamentaux de l’Iran étaient : sécuriser le territoire national et protéger régime iranien, et sa doctrine reposait toujours sur la géographie, la ferveur idéologique et le facteur humain, selon laquelle « la victoire ne s’obtient pas par l’épée, elle ne peut être obtenue que par le sang […], elle est obtenue par la force de la foi. »[3] Néanmoins, les phases offensive et défensive de la doctrine iranienne avaient été affinées par des événements extérieurs et l’amélioration des ressources financières et technologiques de l’Iran. En particulier depuis 2016, ses dirigeants ont appelé à une posture de défense proactive et à « augmenter nos capacités offensives ainsi que nos capacités défensives ». Une telle expansion est cruciale « pour que les puissances oppressives se sentent menacées », prévient le guide suprême[4].
Toutefois, l’économie de l’Iran ne permet pas des dépenses de défense élevées. Son budget militaire est insignifiant comparé à ses rivaux. En 2019, les dépenses militaires combinées des six pays du Golfe s’élèvent à 100 milliards de dollars contre 18 milliards de dollars pour l’Iran. En moyenne, la RII a dépensé chaque année 4 à 5 % (soit 18 à 22 milliards de dollars) de son PIB pour la défense entre 2015 et 2019. Le pays s’appuie sur une doctrine reconnaissant sa faiblesse militaire conventionnelle et cette infériorité est au centre du processus sociohistorique par lequel (et expliquant pourquoi) la guerre asymétrique est passée d’une idée vague à un mode d’action consensuel formant le cœur de la pensée stratégique et de la doctrine militaire de la RII. Les deux tiers de son budget de défense sont alloués au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et un tiers aux activités de l’Artesh (les forces armées régulières).
Les forces militaires iraniennes
L’Iran projette sa puissance militaires à travers diverses institutions. Le niveau de formation et de combativité de ses forces armées est élevé, comparé à celui des pays de la région. S’il parvient à trouver une solution à son déficit budgétaire et à ses équipements obsolètes, il pourrait devenir une puissance militaire régionale redoutable surtout que le pays transforme son armée pour pouvoir mener une guerre à des centaines de kilomètres de ses frontières. Cette capacité risque de modifier le calcul stratégique et l’équilibre des puissances dans la région.
Avec l’implication de l’Iran dans le conflit syrien, la réforme été stimulée par les exigences du champ de bataille et des changements de la perception de l’Iran des menaces stratégiques. L’intégration des forces d’Artesh dans les opérations du CGRI en Syrie est la continuation naturelle des efforts du régime pour consolider ses services armés face aux menaces extérieures et intérieures. Les forces armées iraniennes – comprenant 610 000 de personnels actifs et 1 060 000 de réservistes – sont composée de deux organisations parallèles empêtrées dans des conflits sur la doctrine, la compétition pour des ressources et un accès inégal à la direction politique[5] :
- L’Artesh – un mélange d’unités blindées, d’infanterie et mécanisées comprenant 350 000 d’effectifs – est conçu pour protéger l’Iran des menaces extérieures. En tant que première ligne de défense, l’Artesh est « responsable de la protection de l’indépendance et de l’intégrité territoriale du pays, ainsi que de l’ordre » de la RII, selon l’article 143 de la Constitution iranienne.
- Le CGRI constitue la deuxième ligne de défense et comprend 150 000 personnes conçues pour protéger les principes révolutionnaires de l’Iran. Ayant ses propres forces terrestres, navales et aériennes, le CGRI dirige aussi le Basij – la « force de mobilisation de la résistance » née durant la guerre Iran-Irak comme une de résistance populaire. Selon l’article 150 de la Constitution, le CGRI doit « être maintenu afin qu’il puisse continuer son rôle de gardien de la Révolution et de ses réalisations » en coopération avec d’autres branches des forces armées.
L’objectif d’accroître la coopération entre le CGRI et le Artesh était visible depuis au moins 2011-2012, lorsqu’ils ont mené de grands exercices conjoints, les premières manœuvres de ce type depuis 1979. Ces exercices conjoints se sont poursuivis régulièrement notamment dans la cadre de la « défense mosaïque ». Cette dernière, à l’instar du concept chinois de la « guerre hors limites », n’a pas fait l’objet d’une publication officielle ni n’a été concrétisée à grande échelle dans la pratique. Dans le cadre de ses efforts d’affiner ses capacités de mener une guerre asymétrique, l’Iran continue d’améliorer la coordination entre ses forces dans différents zones et théâtres.
Le déploiement en 2016 d’éléments de l’Artesh en Syrie sous le commandement (et à l’appui) du CGRI en est un exemple qui signale un changement fondamental dans la position auparavant défensive de l’Artesh. Historiquement, ce dernier n’a pas été déployé dans une zone de combat en dehors des frontières nationales depuis la fin de la guerre Iran-Irak. Bien que se focalisant principalement sur la défense territoriale, ses forces spéciales ont toutefois aidé les pasdarans à établir leur propre base d’entraînement pour les forces d’opérations spéciales dans les années 1990. Non seulement les forces spéciales d’Artesh ont l’habitude de s’entraîner avec les forces spéciales du CGRI – appelées unité Saberin créée en 2001- elles ont aussi mené des opérations contre-insurrectionnelles dans le nord-ouest et le sud-est de l’Iran, en coordination avec les forces Saberin qui sont traditionnellement responsables des missions de contre-insurrection dans ces régions. Ce n’est pas un phénomène transitoire ni ne se limitant pas au théâtre syrien.
L’Iran continue de développer une capacité conventionnelle de projection de force. Une telle tournant aurait des implications sur la portée et la capacité de projection de la puissance militaire iranienne. Militairement, l’intervention d’Iran en Syrie s’est avérée cruciale pour la survie du régime syrien. La guerre a transformé l’axe iranien en une force plus compétente, intégrant avec succès des troupes et des milices de divers pays et permettant à l’Iran d’affiner ses capacités de guerre hybride. Le déploiement des troupes d’Artesh en Syrie démontre que le CGRI est capable d’intégrer les forces d’Artesh au sein de sa structure de commandement expéditionnaire, malgré les rivalités institutionnelles. Cette évolution est importante car l’Artesh constitue une source importante mais inexploitée de troupes déployables à l’étranger. L’expérience des combats en Syrie a en effet changé le « modèle de guerre iranien », modifiant les tactiques iraniennes et forçant les forces iraniennes à acquérir de nouvelles capacités, en particulier lorsqu’il s’agit de coopérer avec des militaires étrangers et de former des forces proxys non iraniennes.
Les forces navales de l’Iran
Téhéran appréhende les opérations de combat maritime de la même façon qu’il envisage les opérations terrestres dans une logique corbettienne, selon laquelle 1) la « stratégie maritime » – plus large que la « stratégie navale » – est une extension de la stratégie continentale ; et 2) les puissances maritime et terrestre sont complémentaires. Corbett a noté que l’une des fonctions des flottes était de « soutenir ou d’entraver l’effort diplomatique ». Il estimait que la marine devait aider l’armée, les diplomates et les alliés en faisant pression sur les forces hostiles de diverses manières pour atteindre un objectif plus ambitieux. Contrairement à Mahan qui accordait de l’importance à la concentration des forces et à la bataille décisive, Corbett a souligné la supériorité de la défense et de la dispersion des forces dans la guerre navale et a insisté sur l’importance de la pression silencieuse utilisant la présence de la marine[6]. Pour comprendre la marine de l’Iran, il est nécessaire de considérer trois fils distincts – mais entremêlés – du passé iranien, qui façonnent l’identité de la nation et influencent sa marine ;
- L’héritage de l’empire perse, autrefois sans égal dans sa géographie et sa puissance, continue d’imprégner la psyché et la politique nationales et la stratégie de défense de l’Iran.
- L’islam chiite est un fil conducteur dominant en particulier depuis la révolution de 1979.
- Le plus important, en termes de formation des marines iraniennes, est la guerre d’Irak-Iran, en particulier la guerre des pétroliers (1984-1988). Les attaques de petits bateaux de la marine du CGRI l’ont établie comme une entité légitime et ont consolidé la primauté de ses tactiques asymétriques. Les leçons tirées de cette guerre ont donné naissance à des éléments importants de la doctrine iranienne qui continuent de façonner le paradigme défense iranien.
L’Iran exploite deux forces navales indépendantes : 1) la marine de la République islamique d’Iran (MRII) – la branche navale d’Artesh – qui existait avant la révolution et 2) la marine du CGRI créée en 1985. Depuis la fin de la guerre Iran-Irak, la MRII vivait dans l’ombre de la marine du CGRI, mais à partir de 2007, un changement majeur a eu lieu et qui a affecté les deux services. Probablement influencé par les deux guerres à ses frontières (Irak et Afghanistan) et par la transition de la marine du CGRI en une force asymétrique, l’Iran a réorganisé ses forces navales et a assigné à chacune d’elle des zones d’opérations spécifiques : la marine du CGRI a la responsabilité exclusive du golfe Persique, tandis que la MRII sera responsable du golfe d’Oman et de la mer Caspienne. Les deux services continuent de partager la responsabilité du détroit d’Ormuz.
La réorganisation a permis d’ouvrir de nouvelles bases et de déplacer des actifs pour s’aligner sur leurs responsabilités respectives. La MRII a défini ses limites opérationnelles sur la base du 10e degré de latitude nord et du « Triangle d’or ». Elle est censée se focaliser sur les opérations entre le détroit de Malacca, menant de l’océan Indien à l’océan Pacifique, le détroit de Bab el-Mandeb, menant du golfe d’Aden à la mer Rouge et au détroit d’Ormuz. En 2013, le commandant de la MRII, le contre-amiral Habibollah Sayyari, a noté que « le triangle d’or de Malacca, de Bab el-Mandeb et du détroit d’Ormuz est un triangle important et est le point de concentration de la marine comme l’a recommandé le guide [suprême] »[7].
Source: ONI (office of Naval Intelligence), Iranian Navy Force, Department of the Navy, Washington, février 2017, p. 22.
Les services navals iraniens ont développé des forces et tactiques pour contrôler les frontières de l’Iran en se focalisant sur la capacité d’essaimer les actifs navals ennemis avec une flotte composée de petits bateaux et de lancer un grand nombre de missiles de croisière anti-navires contre la flotte américaine, les pétroliers étrangers et les flottes des alliés arabes dans le golfe Persique. En raison de pénurie de ressources causée par les sanctions, l’Iran a légèrement réduit la taille et la portée de ses exercices maritimes. Mais simultanément, il a augmenté ses déploiements navals à longue portée en Méditerranée et dans le Pacifique. Le pays a revu la concentration de ses exercices maritimes dans le cadre d’une stratégie délibérée de réaffectation des ressources à des activités à plus forte valeur ajoutée. En 2005, Mujtaba Zolnur, un haut responsable du CGRI, a déclaré que la guerre navale « est un autre point faible de l’ennemi parce que nous avons certaines méthodes pour combattre en mer, donc la guerre se répandra dans la mer d’Oman et l’océan Indien. »[8] Les dirigeants iraniens ont défini ce dernier comme la zone d’opérations principale en particulier l’espace maritime englobant le « triangle d’or ».
Source : ONI, Iranian Navy Force, op.cit., p. 25
La phase navale de la stratégie militaire iranienne met l’accent sur l’utilisation de la configuration géographique du golfe Persique dans une guerre asymétrique. L’Iran a construit une marine capable de mener une guérilla navale dans le cadre de sa stratégie « A2/AD ». Ses ressources navales limitées seraient utilisées pour des attaques à petite échelle contre des cibles militaires et liées au pétrole et au blocus du transport dans le golfe. Le complexe industriel naval iranien est capable de construire une variété de plates-formes localement et la doctrine navale iranienne vise à affronter un adversaire technologiquement supérieur – souvent supposé être la marine américaine – à une forme de guérilla en mer. Les petits bateaux d’attaque, les mini-sous-marins et les mines sont des éléments clés de cette stratégie. Etant donné leur nombre, elles pourraient neutraliser la supériorité technologique de l’ennemi. Le contrôle physique par l’Iran des îles d’Abu Musa, du Grand Tunb et du Petit Tunb – stratégiquement situées – a une valeur militaire et stratégique. En plus de faciliter l’exécution d’opérations de guérilla en mer, les revendications iraniennes sur ces îles contestées sont prises en compte pour soutenir les revendications juridiques selon lesquelles l’Iran devrait contrôler l’accès au détroit d’Ormuz.
La réorganisation navale a représenté une hausse significative des responsabilités de la marine du CGRI, étant donné son manque de gros navires nécessaires pour maintenir une présence continue dans le golfe Persique, en particulier dans la haute mer. Pour combler ces lacunes, la marine du CGRI a dispersé ses ressources dans le golfe Persique et le détroit d’Ormuz et a créé deux nouveaux districts navals dans le golfe Persique. Toutefois, aussi difficile soit sa nouvelle mission, celle de la MRII est encore plus délicate, en raison de la complexité de la conduite des opérations en haute mer. Pour mener sa nouvelle mission, la MRII continue d’améliorer ses capacités de guerre conventionnelle et ses compétences opérationnelles en haute mer.
Plus d’une décennie après cette réorganisation, il existe une différence claire entre la marine du CGRI et la MRII en termes de stratégie, de mission et de composition des forces. La MRII a désormais une nouvelle vision et un nouveau but. La réorganisation lui accordé un plus grand mandat pour opérer plus loin des côtes iraniennes. La MRII navigue désormais jusqu’à la mer de Chine méridionale à l’Est et la Méditerranée à l’ouest, suggérant que les sanctions n’ont ni entravé les progrès scientifiques du pays ni diminué ses capacités militaires. Comprenant environ 18 000 personnes, la MRII est considéré comme la première « ligne de défense » et la « marine de haute mer » de l’Iran avec ses navires de surface plus grands par rapport à la marine du CGRI. Sa mission principale est de défendre les eaux territoriales iraniennes et de protéger les intérêts économiques du pays dans la mer Caspienne, le golfe d’Oman et au-delà.
Conclusion
Face aux contraintes, l’Iran ajuste constamment sa stratégie militaire pour soutenir ses ambitions stratégiques. Tout en étendant ses engagements sous diverses formes à l’Irak, au Yémen, au Liban et à la Syrie, Téhéran a redéfini la priorité de certains de ses efforts militaires, mettant l’accent sur la consolidation ou l’extension de ses revendications et intérêts dans le golfe Persique et le détroit d’Ormuz. La longue côte du Golfe et son commerce à travers le détroit d’Ormuz ont, depuis l’époque des anciens empires perses, assuré la continuité de ses intérêts dans le Golfe et consolidé le désir de jouer un rôle dominant dans la région. En contrôlant le détroit d’Ormuz et en plaçant des forces le long de Bab el-Mandeb au Yémen, la RII peut perturber les flux d’énergie et du commerce mondial. Le « Triangle d’or » focalise l’essentiel des efforts de la MRII depuis 2009. Indépendamment du régime en place, l’Iran croit que sa taille, sa population, son niveau d’éducation et ses ressources naturelles l’avaient destiné à devenir la nation la plus importante de la région et qu’il devrait jouer un rôle de leadership dans les affaires régionales qui reflète cette réalité perçue.
Cependant, depuis la fin de la guerre Irak-Iran, Téhéran a progressivement réduit ses aspirations au rôle et la définition de son environnement de sécurité nationale pour englober uniquement le golfe Persique et la mer Caspienne et non le grand Moyen-Orient. Dans cette zone, tout ordre qui soumettrait l’Iran à la domination de toute autre puissance du Moyen-Orient serait, selon la théorie du cycle du pouvoir, instable en raison du rejet à long terme par l’Iran d’un tel écart entre le rôle et le pouvoir[9].
[1] Pierre Pahlavi, « The Place of Shi’ism in Iranian Grand Strategy », Revue défense nationale, vol. 64, 2008, p. 59.
[2] Ofira Seliktar & Farhad Rezaei, Iran, Revolution, and Proxy Wars, Palgrave Macmillan, 2020, p. 221.
[3] L’ayatollah Khomeiny en 1982. Robin Wright, “Eight years of Khomeini transform Iran”, Christian Science Monitor, 30 janvier 1987.
[4] “Iran’s Khamenei says need to boost offensive military capabilities”, Reuters, 31 aout 2016.
[5] IISS, The Military Balance 2021, London, 2021, p. 337-340.
[6] « La stratégie navale n’est que cette partie de celle-ci qui détermine le mouvement de la flotte quand la stratégie maritime a déterminé quel rôle la flotte doit jouer par rapport à l’action des forces terrestres […] La préoccupation primordiale de la stratégie maritime est de déterminer les relations mutuelles de votre armée et de votre marine dans un plan de guerre […] L’objet de la guerre navale est le contrôle des communications, et non, comme dans la guerre terrestre, la conquête de territoires. » Sir Julian Corbett, Some Principles of Maritime Strategy, Longmans, Green and Co., New York, 1911.
[7] Christopher Harmer, “Iranian Naval and Maritime Strategy”, Institute for the Study of War, Washington, 2013, p. 20.
[8] Anthony Cordesman & Martin Kleiber, Iran’s Military Forces and Warfighting Capabilities, Praeger, Westport, 2007, p. 128.
[9] Homa Katouzian & Hossein Shahidi (dir.), Iran in the 21st Century, Routledge, New York, 2008, p. 153.
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