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Les défis de la CEDEAO en matière de sécurité après la sortie du Mali, du Niger et du Burkina Faso de l’espace régional

Par Mouhamadou Mansour DIOP,

Depuis sa création en 1975, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est affirmée comme une organisation régionale majeure dans la promotion de l’intégration économique et la gestion des crises politiques et sécuritaires en Afrique de l’Ouest. Toutefois, l’organisation est confrontée à des défis sans précédent, notamment après le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso, trois pays centraux dans la lutte contre l’insécurité dans la région. Ces retraits, motivés par des divergences politiques et un rejet des sanctions imposées par la CEDEAO, mettent en lumière des tensions récurrentes entre souveraineté étatique et intégration régionale.

Comment la CEDEAO peut-elle surmonter les défis sécuritaires engendrés par le retrait de ces trois États stratégiques et préserver son rôle de garant de la sécurité régionale ?

Cet article vise à analyser les conséquences de ces retraits, à identifier les défis structurels et opérationnels auxquels la CEDEAO est confrontée, et à proposer des solutions pour renforcer ses mécanismes de sécurité dans ce contexte complexe.

Ainsi fait, le développement de cet article s’articulera en trois axes :

  • Les impacts du retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso sur la sécurité régionale.
  • Les défis structurels et opérationnels pour la CEDEAO.
  • Les perspectives et recommandations pour une stratégie renouvelée.

 

           I.      Impacts du retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso sur la sécurité régionale

  1. Un déséquilibre géopolitique et géostratégique

Le Mali, le Niger et le Burkina Faso constituent le « cœur géopolitique » du Sahel. Cette région, définie comme un espace périphérique selon les théories de l’économie-monde (Immanuel Wallerstein), est essentielle pour la stabilité régionale. Le retrait de ces États fragilise l’ensemble de la région, car ils représentent des points de passage stratégiques pour les trafics illicites et abritent des bases militaires internationales essentielles dans la lutte contre le terrorisme.

L’exemple du  Niger qui, grâce à ses accords de défense avec la France et les États-Unis, abrite des drones armés et des forces internationales qui surveillent les mouvements des groupes terroristes. Son retrait complique la coordination de ces efforts dans le cadre régional.

  1. Une rupture dans la coopération sécuritaire régionale

La CEDEAO repose sur un principe d’interdépendance fonctionnelle (David Mitrany). Cependant, l’absence de ces pays brise les chaînes de coopération nécessaires pour des actions coordonnées. Les forces de sécurité des pays voisins, comme le Ghana ou le Nigeria, perdent un accès direct aux zones frontalières stratégiques.A titre illustratif, les patrouilles conjointes entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger dans le cadre de la lutte contre les incursions de groupes armés deviennent impossibles sans coopération régionale.

  1. L’affaiblissement de la CEDEAO

L’approche interventionniste de la CEDEAO, notamment les sanctions économiques et politiques imposées à ces pays, est perçue comme une ingérence, alimentant le discours souverainiste porté par les gouvernements de transition. Selon le concept de légitimité hégémonique (Robert Cox), la capacité d’une organisation à maintenir son autorité repose sur la perception de sa neutralité, qui est ici remise en cause.

 

         II.    Défis structurels et opérationnels pour la CEDEAO

  1. Défis politiques : la souveraineté versus l’intégration

La CEDEAO doit gérer une tension fondamentale entre souveraineté étatique et intégration régionale, une problématique soulignée par Ernst Haas dans sa théorie de l’intégration néofonctionnaliste. Les États membres craignent une perte de contrôle sur leurs politiques nationales, surtout lorsque les décisions de la CEDEAO semblent favorisées par des acteurs externes, comme la France ou l’Union européenne.

  1. Défis financiers et logistiques

Le retrait des trois pays entraîne une réduction significative des contributions financières et des capacités opérationnelles de la CEDEAO. Cette situation rappelle la théorie des biens publics (Mancur Olson), selon laquelle les organisations collectives sont fragilisées par la défection de membres essentiels.

  1. Défis stratégiques : redéfinir les priorités sécuritaires

La CEDEAO doit faire face à une prolifération de crises simultanées (terrorisme, coups d’État, instabilité économique), ce qui limite sa capacité à se concentrer sur un enjeu unique. La fragmentation de ses membres affaiblit également son poids dans des initiatives comme le G5 Sahel ou les partenariats avec l’Union africaine.

 

          III.    Perspectives et recommandations

  1. Rétablir le dialogue avec les États sortants

La CEDEAO devrait privilégier une approche de diplomatie multi-niveaux (Michael Keating) pour inclure les acteurs locaux et régionaux dans un dialogue constructif. Une médiation neutre pourrait permettre de réintégrer progressivement ces pays.

  1. Renforcer les capacités institutionnelles

Il est impératif de développer un cadre institutionnel robuste, notamment à travers des mécanismes de résolution de conflits internes. Les systèmes d’alerte précoce, tels que le Mécanisme de prévention des conflits de la CEDEAO, devraient être renforcés pour anticiper les crises politiques et sécuritaires.

  1. Diversifier les stratégies sécuritaires

La CEDEAO doit adopter une approche holistique de la sécurité, intégrant les dimensions économique, sociale et environnementale. Par exemple, des initiatives de développement local dans les zones frontalières pourraient réduire les causes profondes des conflits, conformément aux principes de sécurité humaine (Commission sur la sécurité humaine, 2003).

  1. Renforcer les partenariats internationaux

En collaborant étroitement avec des organisations internationales (ONU, UA) et des acteurs bilatéraux, la CEDEAO peut mobiliser des ressources financières et techniques supplémentaires.

 

Conclusion

Le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso met en lumière les limites structurelles et politiques de la CEDEAO face aux crises sécuritaires complexes de la région. Cette situation, bien qu’inquiétante, constitue une opportunité pour l’organisation de repenser ses stratégies, de renforcer ses institutions et de promouvoir une intégration régionale plus inclusive et durable. À travers une approche collaborative et multidimensionnelle, la CEDEAO pourrait non seulement surmonter ces défis, mais également devenir un modèle de résilience pour d’autres organisations régionales en Afrique.

 

 

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