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Les insuffisances de la MINUSMA dans la lutte contre le terrorisme au Mali

Les insuffisance de la Minusma
IPSA site: MINUSMA

L’article est écrit par Mady Sissoko, Chargé Senior programme au National Démocratique Institut (NDI) et Collaborateur Chez IPSA.

L’esprit des alliances et contre-alliance existaient bien avant le départ du colonisateur pour former un bloc contre les pratiques léguées par les fondateurs des grands empires au Mali. Au moment où les peuples de l’Afrique se battaient pour arracher leur indépendance, le colonisateur était dans la dynamique de faire une autre proposition sauf l’indépendance, qui consistait à créer en 1956, l’organisation commune des régions sahariennes (OCRS), malheureusement rejetée par les africains. Ce projet a notamment été fustigé par les notables des régions du nord qui voyaient toujours un esprit de colonisation derrière. Il faut noter que dix ans après les accords de paix, d’autres personnalités touarègues, comme Iyad Ag Ghali, Hassane Fagaga, Ibrahim Ag Bahanga et Ahmada Ag Bibi ont estimé que le pacte national qui a mis fin à la rébellion de 1990 – 1996 est presque mort-né. C’est ainsi qu’ils ont alors créé l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement (ADC) sur place et sitôt s’emparer du camp militaire de la région de Kidal. Cela est suivi par la rébellion crée par le mouvement conjoint (Mouvement des Nigériens pour la justice, l’alliance démocratique du 23 mai pour le changement et l’Alliance Touareg du nord – Mali pour le changement).

Cependant, à la suite du printemps Arabe, la révolution libyenne a conduit au renversement et l’assassinat du président Mouamar Kadhafi. Les touareg qui combattaient dans son rang ont plié bagages et armes pour se diriger vers le Mali avec un esprit séparatiste. Pour la circonstance, un mouvement touareg est né à Kidal qui s’appelle le mouvement pour la libération de l’Azawad (MNLA) avec un seul objectif la proclamation de l’indépendance du nord Mali à savoir la région de Kidal, Ménaka, Tombouctou et Gao. Après l’échec des médiations engagées par Bamako, le MNLA et son allié groupe terroriste Ançar – dine ont lancé la cinquième rébellion au Mali, le 17 janvier 2012.

Sitôt, d’autres fractions des groupes terroristes sont entrées dans l’alliance avec l’objectif de faire le Mali une république Islamique contrairement à l’esprit des séparatistes Touareg. Ces mouvements sont ; AQMI et MUJAO (Mouvement pour l’unification du djihad en Afrique de l’Ouest). Le renversement du régime constitutionnel du 22 mars 2012 par certains officiers de l’armée Malienne, a en effet, créé un boulevard devant le MNLA et ses alliés (forces du mal) jusqu’à Konna à Mopti. Cette avancée a suscité une intervention de l’armée française (appui terrestre) à travers la lettre numéro 0013 PRM du président Malien. La France a décidé à travers la force Serval d’entrer en guerre contre les obscurantistes, sans foi ni loi. Avec l’armée Malienne, les villes de konna, Douentza, Gao, Tombouctou ont été libérées. Ironie de cette offensive, la France, principale alliée du Mali pendant cette opération refuse complètement l’entrée des militaires maliens dans la ville de Kidal. Une première des frustrations !

Dans la foulée, a vu le jour sur l’initiative de l’Union Africaine, la Mission Internationale de Soutien au Mali » MISMA » autorisée le 20 décembre 2012 par la résolution 2085 du conseil de sécurité de l’ONU en vertu du chapitre VII. Qui à son tour a laissé le terrain à la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) à travers la résolution 21 00 du – avril 2013 du conseil de sécurité des Nations Unies. L’objectif est de prendre le relais de la mission Africaine à partir du 1er juillet 2012. Elle est aussi placée sous le chapitre VII de la charte des Nations Unies de son article (39 à 51).

Après cette large lumière sur l’historique du Mali. Il est très pertinent de voir en premier les objectifs spécifiques de la mission au Mali, avant de voir en second lieux les insuffisances à travers les résultats obtenus et les difficultés rencontrées.

 

1- les objectifs spécifiques de la MINUSMA au Mali:

Si la volonté politique a primé pour l’arrivée de la MINUSMA, à titre de rappel, l’annonce de l’arrivée de cette mission au Mali a suscité des inquiétudes de la part de certains leaders politiques, d’associations et des regroupements d’associations avec comme analyse une « mission « n’a jamais mis fin à une guerre ». D’autres la considère comme une force d’intervention qui serait un instrument de la France pour créer et maintenir une zone « tampon » entre Kidal et le reste du Mali. De surcroit, le responsable chargé des opérations du maintien de la paix à l’ONU, est français. Quand même, Les objectifs superficiellement expliqués ont permis son acceptabilité et avaient créé un climat de confiance pour un début. Ces objectifs sont entre autres :

  • Appuyer avec tous les moyens nécessaires la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d’Alger ;
  • Faciliter l’application de la stratégie globale dirigée sur un plan politique par le Mali, afin de protéger les civils pour réduire les violences intercommunautaires et de contribuer à rétablir l’autorité, la présence de l’Etat et les services sociaux de base dans le centre du pays ;
  • Appuyer, surveiller et superviser le cessez-le-feu ;
  • Soutenir le cantonnement, le désarmement, la démobilisation et la réintégration des groupes signataires ;
  • Soutenir l’élaboration par toutes les parties prenantes maliennes d’un plan de redéploiement des forces de défenses et de sécurité malienne reformées et reconstituées ;
  • Empêcher le retour d’éléments armés actifs dans les principales agglomérations et les autres zones ou les civils sont en danger. En effet, les causes non expliquées de l’échec de la MINUSMA sont entre autres;

 

La mise en place de l’accord d’Alger: elle n’a pas connu une véritable avancée. Cet accord est perçu comme un document qui favorise la volonté d’une minorité contre la majorité et porte les germes d’une partition du Mali. Le doute qui précédait sur la MINUSMA ne lui permettait plus de faire le suivi conformément à son mandat et le pouvoir politique se résignait aussi à cause de la sensibilité du sujet.

Dans le cadre de la protection civile : les populations du centre du pays (Régions centrales) accusent la MINUSMA d’être spectateur et quelquefois les accusations portent sur des éventuelles complicités de la MINUSMA dans des attaques, même si personne n’a pu prouver cette version. A Mopti par exemple, La population justifie sa thèse à travers la coexistence historique pacifique des différentes ethnies avant la crise. Mais depuis 2015, les violences de groupes armées contre les civils s’intensifient. Notamment, à Mopti et Ségou. Une situation nouvelle au Mali, ces violences sont perpétrées par des groupes armés terroristes. Aussi, sa présence a occasionné la création des milices d’autodéfense par les populations du centre mobilisées contre les terroristes. A cela s’ajoutent, des tueries de masse, vols, enlèvements forcés, destructions volontaires de biens, enrôlement forcé d’enfants, viols, destruction de biens et séquestrations de toutes sortes. En prenant une dimension communautaire et ethnique de plus en plus marquée. Parmi les questions posées par les communautés, il existait de savoir si la MINUSMA n’est pas au Mali pour se battre, n’est-elle pas là pour protéger les civiles ? Mais, les populations ignoraient un aspect important, la MINUSMA était protégée aussi par une autre force «Barkhane ». Pour rappel, un général Malien, conseiller de l’ancien président IBK a vivement critiqué ce système, même si malheureusement ses avis n’ont pas porté en son temps pour une raison de positionnement du puissant ministre de la Défense. Ce dernier justifiait d’une part la transformation de Serval à Barkhane pour mieux sécuriser la force Onusienne (MINUSMA), d’autre part à la recherche des arguments solides pour justifier la présence de la force française après la libération des grandes villes du nord à l’exception de Kidal.

Dans le cadre de l’instauration du cessez-le-feu, la MINUSMA, depuis juillet 2020 dispose 93,02% de son effectif autorisé par la résolution 2480 du conseil de sécurité qui prévoyait en tout un nombre de 13289 soldats pour la mission. Nonobstant, cette présence, le conflit prend une dimension communautaire et ethnique dans le centre avec la multiplication des actes d’atrocités contre les civiles. Pour ne pas seulement citer moins d’un mois, cinq attaques contre les paisibles citoyens :

  • Le 01 janvier 2019, l’attaque meurtrière du village de Koulougon Peulh qui fait 37 mots ;
  • Le 15 janvier 2019, l’attaque du Siri une fraction de du village de Pissa ;
  • Le 19 janvier 2019, l’attaque de la fraction de Youssouf Goré ;
  • Le 22 janvier 2019, l’attaque du village de Bissan et la fraction de Djinoude dans la commune de Baye ;
  • Le 26 janvier 2019, l’attaque du village de Bandé commune de Ouenkoro.

Ces différentes attaques ont causé en un mois le déplacement d’environ 262 ménages et effectifs de 1917 personnes (hommes, femmes et enfants). Ces différents évènements tragiques ont été l’objet d’une véritable rupture de confiance entre les populations et la MINUSMA.  Quant au cantonnement et désarmement, dans un rapport numéro 293/ du 09 Novembre 2020 de l’International CRISIS GROUP, sur un objectif de 3387 combattants à démobiliser, seulement 352 ont été démobilisés (2020). La complexité de la crise n’a pas permis à la MINUSMA de s’imposer pour pleinement jouer ces rôles encore. Cette complexité s’explique par la difficulté à identifier tous les groupes armés en vue d’engager une discussion franche. Les milices d’auto-défenses refusaient en bloc tout désarmement sans obtenir une présence des forces armées pour protéger leurs communautés. Quant aux groupes radicaux, il est quasiment impossible de discuter avec quelqu’un qui ne te fait pas confiance. Encore une autre difficulté !

Dans le cadre du soutien à l’élaboration du plan de redéploiement des forces des défenses et de sécurité malienne reformées et reconstituées, le préalable n’a pas été posé pour une bonne collaboration entre les groupes qui composaient l’armée reconstituée. Cependant, comme préalable il  s’agissait de redonner l’administration de Kidal à l’état Malien pour mieux coordonner les actions car c’est une question de défense. Ce manquement de haut niveau à une fois de plus décrédibilisé ce processus placé dans le cadre du DDR et la réforme du secteur de la sécurité (RSS) par les autorités Malienne sous l’appui de la MINUSMA. Cela s’ajoute aussi l’existence d’une rivalité farouche entre certaines ethnies influentes de la région de Kidal, Ménaka, Tessalit qui s’acceptent difficilement cette collaboration. Donc il fallait un diagnostic préliminaire approfondi de la part de la MINUSMA pour identifier l’ensemble des éléments pouvant constituer d’entorse au processus. Ce manque de diagnostic pour connaitre les problèmes, quelles sont les ethnies qui peuvent être réunies ensemble, pour quoi dire serait aussi à la base de l’échec de plusieurs initiatives salvatrices au début dans la région de Mopti et Ségou.

Il faut aussi rappeler que dans les objectifs spécifiques de la MISSION, elle devrait empêcher le retour d’éléments armés actifs dans les principales agglomérations et les autres zones ou les civils sont en danger. Malheureusement dans ce cadre aussi, le constat est très regrettable et illustré par les attaques sanglantes de Sobane – Dah qui a occasionné la mort de 35 personnes, 60 personnes disparues, 334 personnes déplacées dont 70 enfants et 38 femmes, attaque barbare de Songho, région de Bandiagara à moins de 35 km de Sévaré.

 

2- Les insuffisances des résultats de la MINUSMA au Mali :

 

Les résultats notoires dans l’actif de la MISSION résident au niveau des actions civiles et humanitaires :

  • La contribution de l’absorption du taux de chômage ;
  • La création des activités génératrices des revus aux femmes et aux jeunes ;
  • Les campagnes de sensibilisations communautaires sur les risques liés aux explosifs dans le cadre de la dissuasion ;
  • La construction et la réhabilitation de plusieurs sites militaires et civils en état de dégradation avancée.

Les difficultés sont entre autres ;

  • Instabilité politique et institutionnelle (coups d’états rendant les institutions très fragiles). Cette instabilité a instauré ainsi une rupture de confiance entre autorités et les administrés ;
  • Insuffisance de communication pour mieux expliquer le mandat de la MINUSMA aux communautés dans le centre et le nord du pays à travers des canaux aboutis pour chaque localité ;
  • La complexité du conflit (conflit politique, conflit ethnique, terrorisme, trafic de drogue…) ;
  • Mauvaise communication de certains acteurs politiques et communautaires sur la mission de la MINUSMA.
  • Défis :

Les plus grands défis restent :

  • L’instauration du climat de confiance entre les communautés et la MINUSMA ;
  • Faciliter activement la démobilisation, le désarmement et le cantonnement de tous les groupes armés ;
  • Mettre fin aux attaques contre les civils ;
  • Faciliter le redéploiement des fonctionnaires de l’état pour un meilleur maillage du territoire ;
  • Faciliter l’accès des services sociaux de base tels que l’eau, la santé et l’éducation.

 

Conclusion et Recommandations :

 

Nonobstant, l’aspect multidimensionnel du conflit, nous pouvons aujourd’hui dire que les niveaux de violences ont significativement baissé dans les régions du centre et du nord même s’il reste des gros efforts à faire. Il est à noter que dans certaines localités, les groupes terroristes et les milices d’auto-défenses continuent à dicter toujours leur volonté sur les paisibles citoyens. La réorientation des actions en faveur du dialogue, la politique de sensibilisation rapprochée, la réhabilitation et l’intégration des milices d’auto-défense, ont permis une diminution significative de violence intercommunautaire et à réduire la prolifération des armes dans le centre et le nord. Les efforts supplémentaires sont plus que nécessaires par le gouvernement et la MINUSMA pour rapprocher l’administration aux administrés, le relèvement économique et la mise en adéquation des services sociaux de base aux demandes des usagers.

Recommandations :

Les quelques recommandations pertinentes à retenir :

  • La relecture inter – Malien de l’accord de paix et la réconciliation issue du processus d’Alger pour faciliter son application ;
  • Le désarmement et cantonnement de tous les groupes armés ;
  • Renforcer la protection des civils à travers un bon maillage sécuritaire de l’ensemble du territoire ;
  • Impliquer les leaders traditionnels, les cadres ressortissants des terroirs en vue d’engager des discussions pour le retour de l’administration ;
  • Rapprocher la justice aux justiciable et instaurer une justice équitable pour tous ;
  • Veiller et suivre les infractions commises par les agents de l’état dans l’exercice de leur fonction ;
  • Augmenter le nombre de contingents en vue d’occuper l’ensemble du territoire.

 

BIBLIOGRAPHIE :

  1. Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MINUSMA) du 1er juillet 2012).
  2. Fiches d’informations de la Minusma
  3. Rapport de l’international Crisis Group (érayer la communication violente au centre du mali, rapport Afrique numéro 293/9 novembre 2020.
  4. Rebellions au nord du Mali des origines à nos jours de Dr CHoguel Kokala Maiga : EDIS, (2018)
  5. Présumé coupable : ma part de vérité, figuira éditions, cité des rails samè (mali) 2021 du général Yamoussa Camara (crise du Mali)
  6. Centre du Mali ; enjeux et dangers d’une crise négligée (Adam Thiam)& centre pour le dialogue humanitaire (Genève).
  7. Témoignage des leaders communautaires, anciens membres de milices d’auto-défenses du centre (delta intérieur du Niger, seno, et régions du nord).

 

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