IPSA AFRIQUE

Lutte contre le terrorisme au Bénin: La concurrence guerrière et les politiques de décentralisation comme piste de solution

Par Arnauld Espérat Kadoupkè KASSOUIN, Journaliste-Analyste des questions relatives à la paix, la sécurité et la gouvernance au Sahel et en Afrique de l’Ouest, Collaborateur chez IPSA Initiative pour la Paix et la Sécurité en Afrique

L’intensité des activités terroristes au Sahel depuis janvier 2012 a conduit au débordement de la situation sécuritaire dans les pays du Golfe de Guinée. Les pays comme le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal se sont retrouvés ainsi du jour au lendemain à craindre pour leur sécurité interne (nationale). Pour contenir cette menace sécuritaire, d’importants moyens ont été déployés à la hauteur des attaques perpétrées par les mouvements terroristes. En effet, l’exigence de combattre ledit phénomène s’avère de plus en plus aigüe vu les changements et les divers aspects qu’elles revêtent.[1]

Le Bénin fait partie « des pays essuyant les revers macabres des actes terroristes en Afrique de l’Ouest »[2].  Parce que « situé à proximité d’autres zones crisogènes et en proie au terrorisme.[3] » A ce propos, Hervé Briand, spécialiste du Sahel estime que « la vague jihadiste a débordé sur l’Afrique de l’Ouest, prenant de court les pays côtiers du golfe de Guinée, dont le Bénin, qui tente aujourd’hui d’endiguer la poussée fondamentaliste venue du Niger ou du Burkina Faso voisins.[4]»

En réalité, le Bénin a en partage avec le Burkina Faso et le Niger 663 Km d’espace frontalier terrestre. Ces trois pays partagent également une vaste réserve naturelle de plus de 33 000 km2 communément appelée « Parc W »[5] situé dans le nord du Bénin. Cette vaste réserve naturelle « classée patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1996, fait également partie du complexe W-Arly-Pendjari [6]». Cette proximité géographique avec les pays précités est révélatrice de la situation sécuritaire auquelle le Bénin fait face depuis 2019.

Le Bénin valorise deux « orientations » dans sa stratégie de lutte contre le phénomène terroriste, deux stratégies dominantes et usitées dans la plupart des Etats africains confrontés à la menace. Il s’agit, en premier, de l’option militaro-sécuritaire et en second, d’institution de législation en matière de contre-terrorisme. Pour ce qui du ressort de la seconde option, le Bénin a créé à travers la loi n’2018-13 du 2 juillet 2018 une Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme pour poursuivre la lutte contre la corruption (Criet).

Toutes ces deux stratégies évoquées « ont en commun d’exclure tout dialogue avec les groupes labelisés terroristes.[7] » Pour Aimé Protais Bounoung, Expert en médiation des conflits et Spécialiste du Sahel, l’option militaire ou guerrière est priorisée parce qu’elle procède du prima répressif dans la lutte contre l’insécurité. Selon l’expert, elle est liée à l’histoire de la construction de l’Etat et de la résolution des conflits. Cette approche est marquée par la figure de la résolution hobbesienne des conflits qui renvoie à la paix par la victoire et/ou la domination d’une des parties au conflit. Pour celui-ci, cette conception de résolution de conflit hobbesienne mentionne que « la façon la plus simple et la plus radicale de passer de la guerre à la paix, c’est la victoire.[8] » Elle est synonyme de soumission ou d’élimination de l’adversaire. Visiblement, la conception hobbesienne en matière de résolution de conflit est celle choisit par le gouvernement Béninois.

Cependant, en matière de résolution de conflit de type terroriste dans le contexte béninois cette conception promet-elle de résultats positifs sur le long terme ? Quelles sont ces implications ? Afin de mieux cerner les conséquences du tout répressif contre le terrorisme, il conviendra de se focaliser sur deux points essentiels en prenant pour cas la gestion du contre-terrorisme au Bénin. L’exposé de cet article s’articule autour de données de seconde main. C’est-à-dire de la recherche documentaire et des entretiens réalisés pour le compte du quotidien béninois ‘Bénin Intelligent’.

Dans sa stratégie de lutte contre le terrorisme, le Bénin s’est appropriée une approche instituée de la lutte contre le terrorisme (I). Mais toujours est-il que cette modalité de résolution de conflit dans le contexte béninois présente un décor peu reluisant du fait de l’avancement des incidences à caractère terroriste de 2021 à ce jour (2024). Devant une telle réalité, il convient de proposer une philosophie de construction d’une paix durable (II).

I – Approche dominante ( instituée ) de la lutte contre le terrorisme

Le terrorisme est une stratégie de lutte guerrière recourrant à un repertoire d’action violente dans le but de semer la terreur. Cette défnition s’accorde avec celle du département de la Défense américain. Pour cette institution, le terrorisme serait « l’utilisation calculée de la violence ou de la menace de violence afin de susciter la peur, dans des buts généralement politiques, religieux ou idéologiques [9]». A titre de précision, Weinberg, Pedahzur et Hirsch-Loeffler (2004) définissent la terminologie dite du terrorisme comme étant une tactique de violence politique dans laquelle la publicité joue un rôle significatif[10]. Schmid quant à lui, par son travail adapté et mise à jour, décrit le phénomène comme la doctrine d’une « violence politique coercitive et génératrice de peur [11]» qui cible particulièrement et plus souvent les non combattants.

Cacher sous le prisme du commerce des idées reçues, nombreux sont les spécialistes de la question qui affirment qu’on ne saurait trouver une définition à la thématique. Car Terrorisme est un mot polysémique.

Toutefois, cette perception de la chose a trait à l’appropriation que l’on fait de la thématique dans le contexte africain.

Pour éviter toute confusion, le colonel Sékou Doumbia appelle à beaucoup de prudence lorsqu’il s’agit d’utiliser le concept Terrorisme. Parce que celui-ci arbore un habillage « à la fois relatif et subjectif ». Il développe cette idée dans son ouvrage intitulé « Terrorisme au Sahel : le dialogue avec les djihadistes comme paradigme de sortie durable de crise au Mali ».  Le phénomène serait relatif pour lui « dans le sens ou les terroristes d’hier peuvent devenir les dirigeants de demain, de même que les dirigeants d’aujourd’hui peuvent devenir les terroristes de demain. » Aussi, pour ce qui est de l’aspect subjectif, il observe que l’étiquette de « terroristes est souvent utilisée pour discréditer l’adversaire et mettre en doute sa légitimité. »

En somme, il est important de retenir que le terrorisme et par conséquence « la guerre au terrorisme » sont des concepts flous (Jean-Paul Hanon, 2004).  Car il est impossible « d’établir des démarcations claires entre guerre et terrorisme, terrorisme d’Etat et terrorisme non étatique, terrorisme et mouvements de libération nationale, terrorisme national et international[12]»

Tenter une conceptualisation de la terminologie permet à cet effet de poser un débat de fond. De plus, cela permettrait de savoir l’angle sous lequel nous abordons le terrorisme d’un point de vue analytique.

L’expansion du phénomène terroriste aux frontières du Bénin ou sinon vers les pays du golfe de Guinée obéit à un calendrier des groupes armés terroristes. « Il faut se préparer à la déportation du champ des attaques terroristes du ciel et de la terre vers la mer » alertait déjà Oswald Padonou, dans une tribune[13] publiée sur Jeune Afrique le 25 Juin 2019.

Effectivement, au Bénin, on n’attendra pas une décennie avant d’encaisser un coup en pleine figure. En fait, les premiers signes annonciateurs du phénomène remontaient au 1er mai 2019[14] où la Katiba de Macina a enlevé deux touristes français et assassiné leur guide. Mais, bien avant ce kidnapping des touristes français, en mars 2019, le chef d’une faction de groupe armé terroriste nommé Oumarou Diallo alias Diaw Oumarou a avoué l’existence d’un projet d’expansion d’activité terroriste[15] vers les pays du littoral du golfe de Guinée. Cette annonce a été faite aux autorités burkinabè lors d’un interrogatoire avec Oumarou Diallo après sa capture [16]. Ces autorités ont aussitôt informé les pays concernés pour des dispositions à prendre. C’est en cela qu’il est important de reconsidérer la position du Docteur Padonou évoquée  plus haut.

Depuis lors, après l’alerte du Burkina et de l’enlèvement des touristes français « le Bénin a déployé un important dispositif sécuritaire sur sa frontière burkinabè »[17]. Il en est de même le long de sa frontière avec le Niger.  Eu égard à cette action, Estelle Djanato, spécialiste genre, paix et sécurité confirme la stratégie sécuritaire axée sur le militaire du gouvernement béninois dans « Terrorisme au Bénin : Perceptions, actions et perspectives. » Pour elle, «  la stratégie du Bénin laisse transparaitre une orientation militaire de la lutte contre le terrorisme. Compte tenu du défi sécuritaire que constitue le phénomène terroriste, les forces de défense et de sécurité restent donc les premiers acteurs dans la lutte. Cette stratégie repose sur le tryptique : renseignement, sécurisation du territoire, intervention militaire.[18] »

Contre le terrorisme, il faut impliquer divers mécanismes compte tenu de la complexité de la menace. Dans cette perspective, le Bénin a concentré sa politique de reconquête de la sécurité territoriale autour de la concurrence guerrière et d’un processus de judiciarisation des faits liés au terrorisme. Mais, les initiatives de sortie de conflits priorisées par le gouvernement béninois telle que la concurrence guerrière sont-elles de la meilleure école pour des réponses efficaces ? (A) Quelles sont les limites ou revers de cette approche dominante de lutte contre le terrorisme ? (B)

  • A. Le Bénin et la concurrence guerrière dans la lutte contre le terrorisme

Le Bénin dispose d’une superficie de 114 763 km2. Il a été longtemps épargné par la menace terroriste alors que la plupart des pays avec qui il partage 2123 km de frontières terrestres ont été pendant des décennies confrontés à différents types de menaces à configuration terroriste.

Au Bénin, au nombre des départements qui sont touchés sévèrement par le phénomène, on peut citer entre autres, l’Alibori, l’Atacora, le Borgou et la Donga.

 

Alibori Atacora Borgou Donga
Banikoara, Malanville, Kandi, Segbana Natitingou, Tanguiéta, Matéri, Kouandé, Boukoumbé, Toucountouna, Cobly, Kérou

 

Pèrèrè, Nikki, Sinendé Djougou, Bassila, Copargo, Ouaké,

 

Tableau 1 : Récapitulatif des départements et leurs localités touchées par le terrorisme

Pour contrer la poussée de cette nouvelle menace aux frontières du Bénin, l’architecture sécuritaire engagée gravite à proximité de l’opération Mirador. En réalité, « du point de vue militaire, c’est exclusivement l’opération Mirador.[19]» résume Dr. Aziz Mossi, Spécialiste des questions de radicalisation, d’extrémisme violent et de terrorisme. Au-delà de l’option militaro-sécuritaire, on note également des actions de renforcement de la résilience des populations. Mais, il est constaté une attention plus accrue au dispositif militaire qu’à d’autres approches dans la gestion de la menace au Bénin.

Pour atteindre cette politique du tout-répressif contre la menace terroriste, le gouvernement s’emploie depuis 2020 aux recrutements massif au profit des Forces de défense et de sécurité. Un investissement important est également consenti en vue de doter celles-ci d’équipement de pointe. « Pour ce faire, le gouvernement avait annoncé en 2021, une augmentation de 12% du budget des forces armées béninoises pour l’année 2022 et de 760 millions d’euros supplémentaires à l’horizon 2026[20]». Aussi et toujours dans cette optique, on note « le renforcement des capacités des forces armées béninoises (FAB) et le recrutement massif en complément à l’effectif actuel des forces de défense et de sécurité existantes. Comme annoncé dans le programme d’action du gouvernement courant 2021-2026, plus de 2000 soldats et agents de police seront recrutés afin de mieux couvrir le territoire national du Bénin.[21] »

En dehors du « renforcement matériel et humain, la stratégie du gouvernement béninois repose également sur la riposte des Forces de Défense et de Sécurité face aux groupes terroristes[22] ». Si la stratégie du tout répressif engagé par le gouvernement béninois n’est centrée que sur le tout militaire, c’est parce que cela est dû à une certaine perception de la menace. De plus, la raison fondamentale qui explique cet état de chose est relative à la croyance de nos politiques. Pour l’armée, l’option militaire est celle « la plus efficae » juge Dr Aziz Mossi. Cette posture affichée par le gouvernement est également le reflet de ce que la menace a fait surface de manière inattendue, comprend Fayçal Memako, Socio-économiste[23].  Mais, cette option est-elle réellement la plus efficace contre le terrorisme ? Lorsqu’on a connaissance des facteurs participant à l’émergence du phénomène comme les variables endogènes et exogènes.

Au nombre des variables pouvant favoriser l’émergence du phénomène terroriste figurent entre autres : les variables endogènes et celles exogènes. « Quant aux variables endogènes, il y a lieu de noter : la propagande extrémiste sur les réseaux sociaux, les répercussions du changement climatique, l’influence des groupes terroristes internationaux (l’Etat islamique, Al-Qaïda au Maghreb Islamique, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), les ingérences étrangères dans les affaires politiques et économiques, la présence de groupes armées étrangères, les flux migratoires incontrôlés et les mouvements de réfugiés … Dans le catalogue des facteurs endogènes entrent des éléments tels que : les politiques monétaires et fiscales, les politiques d’urbanisme et de décentralisation, le sentiment de marginalisation ou de discrimination sociale, l’injustice sociale ou politique, les inégalités socio-économiques, l’absence de perspectives d’avenir, les conflits ethniques ou religieux, la corruption et la mauvaise gouvernance, les perspectives d’emploi limitées et les moyens d’existences insuffisants, la mauvaise interprétation des préceptes religieux ou encore, l’accessibilité des armes légères et de petite calibre[24]»

Pour reprendre les propos du  Dr Aziz Mossi, quand il affirme que « l’option militaire n’a jamais été efficace nulle part. », Pourquoi le Bénin devrait donc la prioriser ? Bien qu’elle soit indispensable dans un procesus de gestion de conflit tel que le terrrorisme, doit-on toujours prioriser le tout répressif malgré les nombreuses conséquences que cela induit ?

  • B. Limites du dispositif militaro-policier

Les raisons marquantes de la duplicité du conflit de type terroriste depuis quelques années sont peu rassurantes quant au souhait de le voir disparaitre. « Dans la capitale béninoise, on admet que le tout-militaire a montré ses limites[25] ». En effet, cette posture classique ne convainc plus à cause du fait que les interventions anti-terroristes « ont une tendance à s’auto-perpétuer, voire à se pérenniser[26]». Ce n’est pas tout. Il subsiste aussi le fait qu’il y a une certaine facilité de déclencher une guerre, mais y mettre fin, cela prend du temps. Sébastien LEITNER (2024),  soutient « qu’achever une guerre signifie fermer la porte de temple de Janus et reprendre le cours de la vie en temps de paix. » Ces propos illustrent la difficulté de passer de la guerre à la paix. A prendre pour référence la guerre contre le terrorisme sous le prisme de ce qui se passe au Mali et au Burkina-Faso, atteindre l’idéal institué par le fondement de ce traversement de la guerre à la paix est loin d’être une simple balade. Simplement parce que, les réactions humaines à la violence et aux conflits à configuration terroriste ne sont toujours pas rationnelles.  Le cas du sahel et de l’Afghanistan est édifiant à ce propos bien que les deux cas soient singuliers. Car « la situation d’un pays à l’autre est différente.[27] » Dans « Violence instrumentale et violence mimétique » Jean-Pierre Derriennic, explique à titre d’exemple que « la violence a parfois un effet mimétique sur la façon de réagir de ceux qui la subissent, c’est-à-dire qu’elle oblige à répondre à la violence par la violence. » Cette théorie explique le mieux la situation à laquelle le Bénin est confrontée. Dans sa stratégie de militarisation des frontières considérée comme point culminant d’entrée de mouvements terroristes sur le territoire béninois, il est constaté une certaine faille. Pour Aziz Mossi, cette stratégie permet en effet de diminuer le nombre de terroriste. Elle a un effet dissuasif certes, « mais ça ne peut pas permettre de mettre fin au phénomène. Parce que, si vous en tuez, il y en a qui vont renaître. Déjà parce qu’en tuant sans discernement, vous allez créer des frustrations. Le cas de l’Afghanistan est un exemple. » Plus loin, celui-ci exprime son inquiétude sur l’état d’avancement de la menace malgré les nombreux dispositifs engagés dans le contre-terrorisme.  La  stratégie du tout répressif a prouvé ses limites, vu par exemple qu’elle n’a pas empêché qu’un chef-lieu du département de l’Alibori ait été pris pour cible. « Malgré tous les dispositifs militaires engagé et le parc W qui est là avec tous les moyens de African Parks, les militaires qui sont positionnés à la frontière, au niveau de Karimama, au niveau de Guéné, de Gogounou, au niveau de Banikoara. Comment ils (les terroristes) ont pu traverser tous ces check point-là ? Il y a des positions militaires du côté du Nigeria à Ségbana. Comment ils-ont pu traverser tous ces points pour attaquer le commissariat de Gogounou qui est à moins de 100 mètres du goudron et qui est un espace ouvert qui n’est pas clôturé ? Il faut de l’audace. Ça montre quand-même que malgré tout ce qu’on fait, le phénomène ne fait que progresser.[28] » poursuit le spécialiste.

Pour le porte-parole du gouvernement du Bénin Wilfried Houngbjédji, lors d’une rencontre presse le 24 mai 2024 au siège du journal Bénin Intelligent, ce paradoxe n’est autre que la preuve que nous sommes en asymétrie. Plus loin, il évoquera que la politique de lutte contre la menace n’a pas échoué. « Tous les jours, elle est évaluée et optimisée » relativise le porte-parole. En toute honnêteté, il faut dire que la menace terroriste au Bénin gagne plus de terrain. Et si cet état de chose n’est pas la preuve que la politique en place a échoué comment expliquer l’avancement des attaques vers d’autres localités ?  Pour ne pas s’attarder sur les maux qui plombent la bonne volonté des acteurs impliqués dans le contre-terrorisme au Bénin, il importe pour nous de proposer une perspective constructiviste.

 

II- Perspective de construction de paix durable au nord-Bénin

La paix durable est souvent perçue comme une toison d’or dans le contexte géopolitique actuel de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest francophone. En particulier dans les régions affectées par le terrorisme. Toutefois, il faut dire que dans un schéma de construction de paix durable, il importe de faire « appelle » à « l’implémentation d’un dispositif multi niveaux (MVONDO M. Hervé, 2019) ». D’ailleurs, cette conception de résolution de conflit de type terroriste en République du Bénin trouve son indispensabilité dans les variables favorisant l’émergence du phénomène. Autrement dit, « si l’Etat coordonne les activités au niveau national, les communes demeurent au cœur du dispositif mis en place » ce qui admet l’idée que des prérogatives doivent être partagées pour une gestion efficiente de la résolution du conflit terroriste. Pour faire simple, en ce qui concerne la sécurité humaine des citoyens que doit garantir l’Etat central, on ne saurait écarter les autorités de proximité (élus locaux).  Ce qui vient donc conforter la perception selon laquelle la nécessité d’un dispositif multi niveaux étendu jusqu’aux prérogatives des élus locaux est important et même indispensable. Cette stratégie doit être de plus en plus préconisées en vue d’enregistrer des résultats positifs que n’a pas su traiter le tout répressif. Parce que faire appel aux acteurs locaux suppose que d’autres modalités de résolution de conflit puissent être prises en compte. Au risque de ne traiter que les symptômes du mal au lieu d’attaquer ses causes profondes. Parce que le premier facteur favorisant l’émergence du phénomène est la gestion « archipélagique » du Bénin. C’est-à-dire qu’une partie du pays est plus considérée en matière de réalisation de politique publique que d’autres régions. Ce qu’on appellera ‘’le régionalisme institutionnel’’. Dans la lutte contre le terrorisme le facteur économique n’en est que pour peu. Mais l’argumentaire exposé nous interpelle sur l’importance d’avoir une politique de décentralisation réaliste qui prenne en considération les besoins de toutes et de tous quelle que soit sa localisation géographique. Dans « Le secrétaire exécutif et la réforme de la décentralisation au Bénin », Ange Mario Aouga, défend que les élus locaux ont un rôle important dans le développement à la base. À observer dit-il « l’architecture institutionnelle de la réforme du secteur de la décentralisation engagée depuis 2021, on se rend compte que le Secrétaire exécutif (Se) joue un rôle prépondérant dans le développement à la base. Bien que ce dernier ne soit pas l’élu direct des citoyens, il a un rôle à jouer en tant qu’acteur du développement local. Et cela ne peut être fait sans l’aval de l’élu direct des citoyens qu’est le maire. »

Son argumentaire illustre parfaitement l’importance de traiter le contre-terrorisme différemment tout en associant les élus locaux dans l’élaboration de politique de résolution de conflits. « Les autorités locales et la police administrative, ont un rôle essentiel à jouer » dans la lutte contre le terrorisme, avance le Président de l’ABESS, Guillaume Moumouni lors du colloque sur « Rôle des autorités locales de la police administrative dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest » organisé par l’association Béninoise d’Etude Stratégiques et de Sécurité de concert avec la Konrad-Adenauer Stiftung. Cette perspective fait appel à un principe de bonne gouvernance et de démocratie. C’est de la séparation des pouvoirs pour faire simple. Autrement dit, que chaque acteur joue pleinement son rôle dans le développement de nos pays. Pour exemple, « relever les nombreux défis relatifs à la viabilisation et au développement des espaces frontaliers nécessite l’intervention d’autres acteurs institutionnels, notamment au niveau décentralisé »[29] relève l’ancien représentant résident de la Friedrich Ebert Stiftung. Une fois encore est indexé l’autorité des acteurs locaux dans la construction de la paix.

Au nord Bénin, une région où les enjeux de sécurité sont intrinsèquement liés aux dynamiques locales et en vertu des prérogatives dont jouissent les élus locaux, leur implication est inéluctable, donc la décentralisation (A) et la bonne gouvernance (B) peuvent à cet effet être envisagées comme des vecteurs potentiels de stabilité. Surtout dans une perspective de construction de paix durable. Car la partie septentrionale du pays a été reléguée au second rang en termes de mise en œuvre de politique publique. Mais en quoi consiste réellement notre proposition, et comment peut-elle être mise en œuvre de manière concrète pour favoriser la paix…?

                 A.La décentralisation comme outil de pacification

Le processus de décentralisation tel que structuré par la loi 2021-14 du 20 décembre 2021 portant Code de l’Administration territoriale en République du Bénin est une donnée indispensable à prendre en compte dans la résolution de conflit de type terroriste au Bénin. Ici la résolution de conflits de type terroriste désigne toute politique de sécurité de lutte contre toutes les formes de terrorisme et d’extrémisme violent. Tout en prenant en compte les causes profondes de la menace sécuritaire.

Quant à la décentralisation, c’est transférer le pouvoir de décision et de gestion des affaires de l’Etat central vers des entités locales. En théorie, cela permet une meilleure adéquation entre les politiques mises en œuvre et les réalités du terrain. Au nord-Bénin, où les conflits intercommunautaires peuvent parfois être exacerbés par des décisions prises loin des réalités locales, la décentralisation se présente comme une solution pour rendre la gouvernance plus inclusive et réactive aux besoins spécifiques des populations.

La décentralisation permet une meilleure compréhension et prise en compte des particularités régionales. Comme le suggère Olivier Sardan (1999) dans ses travaux sur les dynamiques socio-politiques en Afrique de l’Ouest, les acteurs locaux connaissent mieux les contextes sociaux, culturels et politiques de leur région. Pour nous, ceci est crucial dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, où une connaissance approfondie des communautés locales est nécessaire pour identifier et contrer efficacement le phénomène.  En effet, la décentralisation vise à renforcer la gouvernance locale en responsabilisant les autorités à l’échelle régionale ou communale. Cela peut avoir comme impact, une meilleure gestion des ressources et à une réponse plus agile et plus pertinente en cas de menace terroriste. Dans son ouvrage « Démocracy in Plural Societies» (1997), Arend Lijphart argumente que la décentralisation peut apaiser les tensions ethniques en permettant à divers groupes d’exercer une plus grande autonomie et de participer activement à la gouvernance.  Pour le cas de figure actuel, Hervé BRIAND, prend appuie sur l’ethnie peule. Qui pour lui, « certains jeunes » d’entre eux « refusent aujourd’hui une vie nomade et préfèrent se sédentariser puis tenter leur ‘’chance’’ dans les villes plutôt qu’épouser le rythme des transhumances du bétail à travers d’immenses territoires, sur des centaines voire des milliers de kilomètres ». Hervé BRIAND explique que ce refus qui se fait de plus en plus constater « conduits certains à l’oisiveté, d’autres à la misère et à la déviance vers l’extrémisme pour quelques-uns ». Plus loin, et de manière plus explicative ce « basculement » se justifie par le fait que certains éléments, notamment Peulhs, dit-il préfèrent s’engager « dans les mouvements jihadistes (EIS ou FLM). »

Pour nous convaincre de la nécessité d’une cohérente politique de décentralisation dans la lutte contre le terrorisme et de l’extrémisme violent, et de ce que cette possibilité de lutte contre le phénomène arrimée à la réponse militaire -qui se doit d’être secondaire est important, il est nécessaire de s’intéresser aux déterminants sur lesquels s’appuie notre démonstration. Lesquels sont d’ordres exogènes et endogènes faut-il rappeler. Mais, il faut également noter que l’émergence des groupes armés terroristes dans les pays du littoral du golfe de Guinée obéit à des mobiles peu semblables à ceux en vogue au Sahel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, Gilles Yabi, Directeur exécutif du Think Tank Wathi estime qu’on « ne peut évidemment pas adopter de solution uniforme par rapport aux menaces sécuritaires. La situation d’un pays à l’autre est différente[30]».  Bien que des facteurs semblent converger comme la pauvreté, le chômage, l’absence de l’Etat, l’absence de perspectives pour les jeunes, la crise de confiance entre citoyens et autorités politiques …  Il est plus réaliste de justifier l’aventure de groupes impliqués dans la recherche de nouvelles brèches d’abri, de même que de l’accès à l’océan atlantique pour des besoins commerciaux. A juste titre, la pensée de Maixent Somé, politiste Burkinabè trouve tout sens lorsque celui-ci affirme que « le terrorisme surfe sur des inégalités politiques[31] ».

Pour que la décentralisation soit efficace dans la lutte contre le terrorisme, une coordination étroite entre les niveaux de gouvernance est indéniable. La décentralisation ne signifie pas l’abandon du rôle de l’Etat central, mais plutôt la collaboration entre l’Etat et les autorités locales pour une réponse plus intégrée. Cela fait écho aux idées de Berman et Laitin (2008), qui dans leurs recherches, ont souligné l’importance de la coopération intergouvernementale pour sécuriser les régions vulnérables face au terrorisme.  Toutefois, la décentralisation peut également présenter des défis, comme le souligne Bonne (2003), qui avertit que la décentralisation peut parfois renforcer les chefs locaux qui sont eux-mêmes partie du problème, surtout dans des contextes où l’Etat de droit est faible. Il est donc crucial que les processus de décentralisation soient accompagnés de mécanismes de contrôle et d’une volonté politique forte pour assurer qu’ils contribuent positivement à la lutte contre le terrorisme.

En somme, la décentralisation ne pourra jouer un véritable rôle dans la dynamique du contre-terrorisme au Nord Bénin que lorsqu’elle sera couplée à la bonne gouvernance.

                 B. La bonne gouvernance au service de la lutte contre le terrorisme

La bonne gouvernance implique le respect de l’État de droit, l’inclusion de toutes les couches de la société civile dans les processus décisionnels. Et la responsabilité dans l’exercice du pouvoir. De même que la transparence dans la gestion de la chose publique. En assurant que les actions du gouvernement soient plus transparentes et que les responsables soient tenus pour comptables, on décourage la corruption et on renforce la confiance dans le système politique. La Banque mondiale, dans ses publications sur la bonne gouvernance, souligne l’importance de ces principes pour créer un environnement de confiance et d’équité, fondamental à la stabilité sociale (World Bank, 1992). Dans le cas béninois, la bonne gouvernance à la base (au niveau local) peut atténuer les facteurs qui conduisent à l’extrémisme et au terrorisme. En effet, elle pourrait être la clé pour restaurer la confiance entre les citoyens et l’Etat, et par-delà aider dans la résolution du conflit de type terroriste en cours depuis 2021 au Bénin.

Pour paraphraser Aimé Protais Bounoung, le développement économique n’a pas de lien direct avec l’émergence du terrorisme. Sinon tous les pays sous-développés seraient déjà confrontés au terrorisme tel que connaissent les pays du Sahel ou les pays du golfe de Guinée.

La bonne gouvernance favorise l’inclusion et le dialogue entre les différentes couches de la société. En impliquant davantage les minorités et les groupes marginalisés dans le processus politique, on réduit le risque qu’ils soient attirés par des idéologies radicales. L’inclusion économique et sociale est également un rempart contre l’extrémisme, car elle offre des alternatives positives aux récits extrémistes. En effet, la corruption, le népotisme, le favoritisme (…) sont des facteurs exploités par les groupes terroristes pour saper l’autorité des gouvernements dans leur effort de construction d’un Etat souverain. « La corruption alimente le ressentiment et le désespoir, en offrant un terreau fertile pour le terrorisme » fait constater d’ailleurs Kimberly Ann Elliot (2003) dans « Corruption, Gouvernance and Security : Challenges for the Rich Countries and the World »

Non seulement, la bonne gouvernance peut prévenir la corruption mais également, elle est en mesure d’impacter significativement et de manière réductive les opportunités qu’instrumentalisent les groupes extrémistes. Martha Crenshaw (1981) dans ses travaux de recherche sur les causes du terrorisme parvient à la même conclusion. Elle démontre que la marginalisation sociale et économique peut conduire à la radicalisation. Dans la même perspective, mais avec pour appui sur l’état de droit et la justice sociale, Naomi Chazan (1988) explique que « l’injustice et l’inégalité économique peuvent exacerber les tensions sociales et fournir un terreau pour l’extrémisme. »

La bonne gouvernance renforce la solidité des institutions, ce qui pourrait également constituer une barrière contre le terrorisme. Des institutions fortes et bien fonctionnantes sont la base de la bonne gouvernance. Ce qui est un élément vital, serieux à prendre en compte lorsqu’il s’agit de la lutte contre le terrorisme. Des institutions faibles ou inefficaces sont souvent incapables de répondre aux besoins de la population ou de prévenir la violence et l’extrémisme violent. Le renforcement institutionnel implique le développement de forces de sécurité efficaces et respectueuses des droits de l’Homme ainsi que des systèmes judiciaires efficaces. Dans le même sens, Bruce Hoffman dans son livre « Inside Terrorism » souligne l’importance d’une réponse gouvernementale forte et coordonnée face au terrorisme. Une bonne gouvernance, induit indispensablement une participation citoyenne forte et l’inclusion politique réduit une marge importante des personnes marginalisées par les politiques publiques. Dans « Preventing Violent Extremism by Promoting Inclusive Developpement, Tolerence and Respect For Diversity (2016) », Kofi Annan n’est pas allé par quatre chemins pour démontrer l’importance de l’inclusion dans le contre extrémisme. « La participation politique … peut servir de prévention contre la violence extrémiste. », écrivait-il.

 

    Conclusion

Le rapport ‘’huaman Security Now’ (Commission on Human Security, 2003) met en avant le concept de sécurité humaine, qui relie la bonne gouvernance aux aspects économiques et sociaux du développement. C’est conformément à cette conception et aux différentes leçons retenues de nos diverses analyses que nous croyons avec conviction que le développement à la base constitue une réponse juste face à la menace terroriste.  Mais est-il possible d’avoir des sociétés dans lesquelles il ne saurait exister des conflits ? Cette problématique est l’autre équation à résoudre. Parce qu’elle est d’utilité et d’importance. Surtout dans l’élaboration de politique viable dans la construction de paix durable et de politique en matière de sécurité humaine.

L’analyse qui précède montre la nécessité d’allier à la réponse militaire en matière de terrorisme d’autres dispositifs de construction de paix durable. Parmi ceux-ci figure l’élaboration cohérente d’un processus de décentralisation. De même que de l’importance d’asseoir une bonne gouvernance dans la vie institutionnelle du pays. Mieux cette analyse rappelle l’importance d’avoir des sociétés plus démocratiques dans la mesure où chaque acteur à partir de sa position, puisse intervenir sur fond légal dans la gestion de la chose politique. En substance, elle insiste sur l’importance du respect des fondements de la séparation des pouvoirs. C’est-à-dire qu’il n’est pas que du ressort du pouvoir central d’imposer sa vision de la résolution du terrorisme. Mieux, cette analyse démontre l’importance de diversifier la politique sécuritaire béninoise de lutte contre le terrorisme et de l’extrémisme violent.

 

 

[1] CAMUS, C., La guerre contre le terrorisme. Dérives sécuritaires et dilemme démocratique, 2007, Paris, Le Félin Kiron

[2] fr.wikipedia.org

[3] https://www.beninintelligent.com/2023/05/28/protais-bounoung-ngono-la-strategie-du-tout-repressif-nest-pas-une-panacee-contre-le-terrorisme/

[4] Hervé Briand, Golfe de Guinée : la nouvelle menace d’un « califat islamiste » ?, Institut d’études de géopolitique appliquée, Paris, 29 janvier 2024.

[5] fr.wikipedia.org

[6] https://fr.globalvoices.org/2023/03/20/277787/

[7] https://www.beninintelligent.com/2023/05/28/protais-bounoung-ngono-la-strategie-du-tout-repressif-nest-pas-une-panacee-contre-le-terrorisme/

[8] Ibid

[9] Jean Paul Ney & Laurent Touchard, Livre noire du Terrorisme, 2011, France, Presse 2.0. P.4

[10] https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2014-v45-n3-ei01626/1027551ar/

[11] ibd

[12] 3. Derrida J., Habermas J., Le concept du 11 septembre, Paris, Galilée, 2003, p. 217.

[13] https://www.jeuneafrique.com/792263/politique/tribune-et-si-les-terroristes-prenaient-la-merdans-le-golfe-de-guinee/

[14] https://www.la-croix.com/Monde/Au-Benin-larmee-etat-dalerte-attaque-djihadiste-2021-12-03-1201188344

[15] https://www.bbc.com/afrique/region-47957491

[16] https://www.aujourd8.net/afrique-de-louest-le-benin-le-togo-et-le-ghana-abriteraient-des-cellules-de-terroristes/

[17] https://www.la-croix.com/Monde/Au-Benin-larmee-etat-dalerte-attaque-djihadiste-2021-12-03-1201188344

[18] Thierry S. Bidouzo et Expédit B. Ologou, Terrorisme au Bénin : Perceptions, actions et perspectives, Bénin, CHRISTON, 2023, P.179

[19] Entretien avec Dr. Aziz Mossi

[20] Estelle Djanato, LE TERRORISME AU BENIN Perceptions, actions et perspectives, 2023, Bénin, CHRISTON éditions, P. 185

[21] https://fr.globalvoices.org/2023/03/20/277787/

[22] Thierry S. Bidouzo et Expédit B. Ologou , LE TERRORISME AU BENIN Perceptions, actions et perspectives, Bénin, CHRISTON, 2023 P. 185

[23] Entretien

[24] Article Bénin Intelligent

[25] Hervé Briand, Golfe de Guinée : la nouvelle menace d’un « califat islamiste » ?, Institut d’études de géopolitique appliquée, Paris, 29 janvier 2024.

[26] Bruno Charbonneau, Marielle Debos, Jean-Paul Hanon, Christian Olsson et Christophe Wasinski, « De la « guerre contre le terrorisme » aux guerres sans fins : la co-production de la violence en Afghanistan, au Mali et au Tchad », Cultures & Conflits [En ligne], 123-124 | Automne-hiver 2021, mis en ligne le 01 janvier 2025, consulté le 23 mars 2022. URL : http://journals.openedition.org/conflits/ 23194 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.23194

[27] Entretien avec Gilles Yabi

[28] Entretien avec Aziz Mossi

[29] Dr. Hans-Joackim Preuss, « Communes frontalières du Bénin : La vie à rude épreuve »

[30] Entretien avec Gilles Yabi

[31] Entretien avec Maixent Somé

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