IPSA AFRIQUE

Quelles sont les vulnérabilités de la Confédération des États du Sahel (CES) ?

Par Tchébi NYEMB, juriste, Collaborateur chez IPSA Initiative pour la Paix et la Sécurité en Afrique

Le traité du 6 juillet 2024, établissant la création d’une Confédération des États du Sahel, faisant suite à la signature de l’Alliance des États du Sahel le 16 septembre 2023 par le Mali, le Niger et le Burkina Faso, pose les jalons d’une nouvelle forme de coopération stratégique dans la zone historico-géographique du Liptako-Gourma. Se partageant sur leur territoire la zone « des trois frontières », les dirigeants militaires, après s’être écartés de manière « irrévocable » de l’organisation ouest-africaine, souhaitent désormais proposer une « alternative à tout regroupement régional factice en construisant une communauté souveraine des peuples », selon les mots du général Abdourahamane Tiani. L’objectif sera désormais pour ces trois pays de dépasser le pacte de défense mutuelle signé en septembre 2023 en poursuivant leur intégration politique et économique à travers une confédération.

Considérée par beaucoup comme l’un des plus grands bouleversements géopolitiques africains de ces dernières années, cette confédération devra relever de nombreux défis dans le cadre de la collaboration renforcée instituée par le CES.

La volonté du Mali, du Niger et du Burkina Faso de mutualiser leurs forces dans le cadre d’une intégration sous-régionale a déjà été le fruit d’initiatives politiques. L’Autorité de Développement Intégré de la Région du Liptako-Gourma (ALG) est une organisation transfrontalière créée par le protocole d’accord du 3 décembre 1970 à Ouagadougou. Cette initiative transfrontalière se donne pour mission le développement des espaces enclavés partagés par le Mali, le Niger et le Burkina Faso par l’exploitation des ressources minières, énergétiques, hydrauliques, agropastorales et piscicoles présentes dans la région. Pour atteindre son objectif, elle prévoit une mutualisation des efforts pour la réalisation de projets de développement. Du fait de l’importance stratégique de la zone géographique dans laquelle se trouvent les trois pays, leurs chefs d’État décidèrent en 2011 de la transformer en un espace économique commun. Les problèmes sécuritaires s’exacerbant dans la région depuis 2012, en 2017, l’ALG élargit son champ d’action aux questions sécuritaires.

La charte signée le 16 septembre 2023, prévoyant l’Alliance des États du Sahel (AES), tout en instituant une nouvelle dynamique de collaboration entre les trois pays signataires, fait référence à l’ALG en affirmant rester « fidèles aux objectifs et idéaux de l’Autorité de Développement Intégré des États du Liptako-Gourma ». Les militaires au pouvoir, sans avoir décidé de reprendre l’ALG et sans pour autant y avoir expressément renoncé, ont fait le choix d’une nouvelle forme d’intégration en rappelant les objectifs déjà définis dans l’ALG, soulignant ainsi leur histoire commune et leur alignement sur la problématique du développement économique que connaissent leurs pays. Les chefs militaires affirment donc un « second nouveau départ » vers une collaboration renforcée sur des sujets couvrant des questions politiques, économiques et sécuritaires à travers une confédération entre les trois pays.

Au cours de l’histoire, et dès la veille des indépendances, des projets visant à constituer une unité africaine ont vu le jour, mais leur mise en œuvre pratique a été plus complexe. Ainsi, l’homme politique et intellectuel  fraco-sénégalais Gabriel d’Arboussier se posait la question de savoir comment fusionner « des États sans écarter certains leaders, ou sans que l’un ne domine l’autre ». Les tentatives et les échecs d’union des États africains peuvent laisser dubitatifs quant à l’avenir de la CES. La Fédération du Mali en 1960, ainsi que l’Union Ghana-Guinée en 1961, furent en effet toutes deux avortées.

La CES se trouve confrontée à nombre de vulnérabilités complexes menaçant sa stabilité et son développement. Bien qu’ambitieuse dans sa volonté de surmonter les défis sécuritaires et économiques, la CES est fragilisée par la nature juridique de son pouvoir et la portée de ses décisions. En effet, les gouvernements actuels du Burkina Faso, du Mali et du Niger sont tous issus de transitions militaires, arrivés au pouvoir à la suite de coups d’État, et sont donc considérés comme des régimes transitoires non habilités à prendre des décisions touchant au statut même de l’État. Sur le plan sécuritaire, ces pays, déjà fragilisés par des décennies de conflits, sont encore davantage exposés aux attaques de groupes terroristes et criminels. L’insécurité chronique, amplifiée par la faiblesse des infrastructures étatiques, entrave non seulement la gouvernance mais aussi la mise en œuvre de projets de développement essentiels pour l’amélioration des conditions de vie des populations. En plus de devoir faire face aux menaces existantes à l’intérieur de leurs frontières, la CES devra également se prémunir contre les puissances étrangères conscientes de l’intérêt géostratégique que représente la région.

Si les défis sont nombreux et les vulnérabilités certaines, les points de convergence des États de la CES sont sources d’espoir dans la réalisation de leurs objectifs. En plus de disposer de caractéristiques géographiques, économiques et culturelles communes, les trois pays de la confédération CES partagent un système juridico-politique hérité de la colonisation française similaire et une langue commune. Ils partagent également les mêmes défis sécuritaires (terrorisme, trafic de drogue, conflits intercommunautaires…). Le rejet de l’ancienne puissance coloniale, alimenté par un ressentiment profond, est également un facteur permettant de consolider les relations entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Classés parmi les pays les plus pauvres du monde, le développement économique reste un impératif pour ces pays de la région du Sahel, qui disposent d’assez de matières premières pour développer une industrie diversifiée. La position géostratégique de ces trois États et leur alliance au sein d’une confédération pourraient également leur permettre de renforcer leur poids sur la scène régionale et internationale.

 

 

 

 

 

https://www.lexpress.fr/monde/afrique/mali-niger-burkina-faso-ces-etats-du-sahel-qui-sunissent-dans-une-confederation-6XT6WHCRVZC7HHP53QLTBO5SNA/

https://www.lejdd.fr/international/sahel-les-juntes-du-mali-du-burkina-faso-et-du-niger-sunissent-au-sein-dune-confederation-147533

https://www.africansecuritynetwork.org/assn/le-role-de-lalg-dans-la-lutte-contre-linsecurite-entre-le-niger-le-mali-et-le-burkina-faso/

https://www.iris-france.org/note-de-lecture/africa-unite-une-histoire-du-panafricanisme/

 

https://www.policycenter.ma/podcasts/de-lalliance-la-confederation-des-etats-du-sahel-evolution-ou-revolution?page=30

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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